Une circonstance particulière m'a conduit, il y a quelques jours, à me procurer un ouvrage historique publié en 2017 par les Editions des Falaises, domiciliées à Rouen.
J'ai repéré dans cet ouvrage un "chapitre" qui me paraît très significatif, à la fois rétrospectivement et par sa résonnance actuelle. Pour encourager les lecteurs de l'Etoile de Normandie, plus particulièrement les Havrais, à le lire, j'en ai reproduit l'extrait ci-dessous :
Extrait du livre « Les Hommes qui ont inventéLe Havre– Un port et une ville 1517-2017
Jacques Dubois – Patrick Bertrand
Editions des Falaises
Page 50
« …/…
Cependant, Renaud avait raison : le chenal ne convient pas et on voit son remplaçant, Bouniceau, présenter un nouveau projet avec l’endiguement de la rade et une nouvelle entrée vers le nord-ouest, en conservant toutefois le chenal existant vers le sud-ouest.
La Chambre de commerce de Rouen, inquiète de la modification des courants dans l’estuaire de la Seine qui résulterait de ces travaux, proteste alors vivement. Il n’en faut pas plus pour que sa consœur havraise rétorque que « les travaux d’endiguement de la Seine entrepris depuis 1846 ne sauraient être poursuivis sans mettre en péril la sécurité du port du Havre ».
Depuis longtemps, les relations ne sont pas au beau fixe entre la capitale normande, siège du parlement de Normandie, et la ville nouvelle du Havre, créée ex nihilo, dotée de privilèges et ayant établi un réseau de relations autonomes avec la royauté. Ajoutez à cela la concurrence économique et commerciale entre les deux communautés et vous trouvez les ingrédients qui peuvent créer une tempête ! Dans ce contexte, le projet de Bouniceau n’a aucune suite.
Après ces études, advient une accalmie, accalmie relative puisque sont à nouveau élaborés deux projets : l’un présenté par le général marquis de Broccard, qui ne fait pas rêver les Havrais, l’autre dans une pétition adressée à Napoléon III visant à endiguer la rade pour y aménager des bassins. Malgré les seize mille signatures, elle n’a aucune suite.
Le port poursuit donc son activité avec les accès tracés par du Chillou jusqu’à ce que vingt ans plus tard, on reprenne les idées de Renaud avec le même objectif : atteindre les eaux profondes. Le conflit entre les ports du Havre et de Rouen va alors reprendre et s’accentuer. Pour le comprendre, il convient d’en expliquer l’origine.
L’endiguement de l’estuaire de la Seine
Dès 1845, les ingénieurs du port de Rouen améliorent l’accès des navires au port de Rouen. Le problème se situe dans l’estuaire de la Seine, en aval de Tancarville, là où le fleuve s’élargissant, le chenal divague entre les bancs sablonneux. Le problème est double : il faut non seulement améliorer la profondeur, mais aussi stabiliser le chenal de navigation qui se modifie d’un jour à l’autre au gré des courants et des tempêtes.
Les ingénieurs ont alors érigé des digues sur chacune des deux rives, canalisant les eaux afin qu’elles se précipitent lorsque la mer baisse, en créant un courant très vif capable de chasser les sables vers l’aval. Ces travaux ont largement amélioré la navigation. Les navires remontent en une marée et descendent en deux marées, alors qu’auparavant il fallait deux jours au minimum, souvent huit (parfois quinze !) pour remonter à Rouen. Mais, les sables ainsi entraînés dans l’estuaire au baissant de la marée, ne vont-ils pas se déposer plus loin jusqu’à atteindre le chenal d’accès au port du Havre, le menaçant d’ensablement ? C’est ce que les Havrais redoutent (p. 52/1). Mais les responsables rouennais veulent poursuivre l’endiguement de l’estuaire afin de recevoir à toute marée les plus grands navires qui « fréquentaient Londres et Anvers ». Ainsi que le conclut en 1879 un hydrographe, l’ingénieur Estignard, les Havrais estiment que tout nouveau prolongement des digues peut obstruer le chenal d’accès au port du Havre.
Pour désamorcer la querelle, le ministre réunit une commission, lui confiant le soin de proposer un plan d’amélioration de l’estuaire. Cela suscite un grand nombre de projets dont certains sont de valeur. En conclusion, la commission rejette le projet rouennais et propose bravement de transformer le canal de Tancarville en canal maritime, pour permettre aux grands navires de mer de rejoindre Rouen ! La Chambre de commerce de Rouen se rallie habilement à cette suggestion… en posant une condition impossible à satisfaire : permettre aux navires de mer d’un tirant d’eau de 7 m de rejoindre Rouen… sans passer par le port du Havre.
En 1883, l’ingénieur hydrographe Héraud (p. 52/2) met en évidence une nouvelle progression des alluvions vers l’ouest, ce qui le conduit àécrire que la passe du Havre « était littéralement assiégée par le sud et par l’Est ».
Le projet du dixième bassin
Lors de la visite de Léon Gambetta, le 25 octobre 1881, les édiles de la Chambre exposent les problèmes techniques qui gênent le développement du port du Havre : l’accès à la mer est difficile, les terre-pleins sont insuffisants et les voies de communication inadaptées. Ils constatent que le chenal s’ensable et ne permet plus aux navires les plus récents d’entrer à n’importe quelle heure. Or la Compagnie Générale Transatlantique (C.G.T. ou Transat) projette de nouveaux navires plus grands encore. Il faut donc doter Le Havre d’une passe vers le nord-ouest et construire de nouveaux quais ! Dans le même temps, la Chambre de commerce de Rouen souhaite poursuivre les travaux d’endiguement de l’estuaire de la Seine et les Havrais combattent le prolongement de l’endiguement, non par « esprit d’hostilité » mais par crainte pour leur port.
C’est dans ce contexte que Bellot, qui avait la responsabilité du port, présente en 1883 le projet d’un nouveau bassin ouvert vers le nord-ouest avec un chenal plus profond, à l’abri de l’ensablement qui pourrait résulter du prolongement de l’endiguement souhaité par Rouen. Le projet d’un dixième bassin en emprise sur l’estuaire, sensiblement parallèle et semblable au neuvième bassin répondra à cet objectif et permettra de doubler le trafic du port (p. 52/3).
Ce nouveau bassin recevra des navires de longueur de 200 m au tirant d’eau de 8 m. Pendant cinq heures à chaque marée, les plus petits navires pourront entrer et sortir grâce à un bassin de mi-marée (c’est-à-dire un bassin équipé d’une écluse à chaque extrémité)…
La Commission d’enquête d’utilité publique se réunit en juillet 1883. Son agrément obtenu, le président de la Chambre de commerce demande que les travaux soient engagés très vite. Après un partage des dépenses entre l’Etat, la Chambre de commerce et la Ville du Havre qui acceptent de participer largement au financement des travaux, le ministre approuve le projet… en y ajoutant, à la demande des marins, la construction d’une digue au cap de la Hève !
Mais apparaît une nouvelle opposition sérieuse au projet.
La réaction rouennaise
La Chambre de commerce de Rouen renouvelle son inquiétude quant aux conséquences des courants de la baie de Seine qui résulteraient de la construction de ce dixième bassin. Elle demande l’établissement d’un plan d’ensemble comportant les accès du port de Rouen. Le ministre passe outre et en août 1884, le projet est déposé sur le bureau de la Chambre des députés.
C’est mésestimer la résolution du commerce rouennais. Elle se manifeste au sein du Conseil Général de la Seine-Inférieure sollicité pour participer au financement de l’opération. Le débat est vif et enflammé et les représentants du Havre sont minoritaires. Le vent souffle bien évidemment jusqu’à la Chambre des députés et atteint la commission qui, sous la présidence du député Mathieu, est chargée d’étudier le projet de loi. Les représentants havrais sont entendus par la commission et défendent leur point de vue. Les marins confirment leur attachement à la passe du sud-ouest. Des ingénieurs civils opposent leur avis à celui du conseil des Ponts et Chaussées heureux, peut-être, d’en découdre avec cette puissante institution ! Enfin la commission entend les représentants du port de Rouen qui se présentent en victimes.
Or la Chambre des députés va être renouvelée avant de délibérer sur le projet de loi. Toutefois le ministre ne peut pas négliger les travaux de cette commission et il décide de mettre au point un projet commun aux deux ports du Havre et de Rouen. En novembre 1885, il confie cette mission à une commission (encore une !) constituée sous la présidence de l’ingénieur général Fargaudie, de cinq de ses collègues et de marins, un contre-amiral, un capitaine de vaisseau et un ingénieur hydrographe, tous faisant « autorité par leur connaissance des navires et du régime des côtes ». Que du beau monde !
La commission Fargaudie
Le directeur chargé par le ministre de suivre les travaux de la commission, écrit « Les intérêts du Havre et de Rouen ne sont ni contradictoires ni inconciliables (…) en faisant à chacun la part que lui assignent et sa situation et son rôle naturels, on aura accompli une œuvre éminemment nationale et patriotique et rendu un immense service à la France. Il y a là une grande et belle tâche à accomplir. »
Le rapport de la commission est déposé le 9 juin 1886. Au-delà des études techniques, la commission présente une véritable étude de marché ainsi que les besoins des utilisateurs des deux ports pour faire face à la concurrence étrangère. Ces questions de concurrence et de qualité de service qui sont évidentes de nos jours sont étudiées, peut-être pour la première fois, dans un rapport administratif !
La figure (p. 52/4) est une reproduction du projet que devait produire la commission. Elle prévoit la création d’un vaste endiguement avec une digue NO-SE enracinée dans l’anse de Sainte-Adresse, à environ un kilomètre du rivage, pour se poursuivre en rive nord de la Seine. L’entrée des navires est située dans les fonds de la petite rade à 6 m en-dessous des plus basses mers. Le nouvel avant-port pourrait servir de rade abri et être équipé, notamment pour les transatlantiques, de quais d’escale accessibles sans écluse par tout temps et à toute heure de marée.
La commission conseille de poursuivre l’endiguement de l’estuaire de la Seine, tout en estimant qu’un prolongement jusqu’aux bancs de Honfleur constituerait un danger pour le port du Havre mais aussi pour la basse Seine elle-même. Elle insiste sur la simultanéitéà respecter dans les travaux, afin que « la nouvelle entrée du Havre soit acquise au moment même de l’achèvement de l’endiguement ». Le projet est ambitieux… mais la commission ouvre la porte à une première tranche portant seulement sur le dérasement des bancs qui gênaient l’accès au Havre et celui des seuils dans le chenal du port de Rouen.
Sans retirer quoi que ce soit à leur mérite, on remarque que les membres de la commission Fargaudie se sont efforcés de satisfaire tout le monde : les intérêts rouennais sont préservés avec le prolongement des digues, les Havrais obtiennent un nouvel avant-port à l’abri des bancs de sable, ouvert vers les grandes profondeurs, les marins conservent l’endiguement de la rade et le plan comprend une seconde entrée dans le sud-ouest. Ainsi toutes les objections sont levées !
Le ministre des Travaux publics, de Hérédia, présente le projet à la Chambre des députés en 1887 qui adopte le texte le 28 janvier 1889. Enfin le projet reçoit le 9 avril 1889 un avis favorable de la commission chargée par le Sénat de l’étudier. Il a fallu six ans pour mettre d’accord Rouen et Le Havre !
Un sénateur de la Haute Vienne
Tout aurait pu se dérouler au mieux sans l’imagination fertile d’un sénateur… de la Haute-Vienne, Teisserenc de Bort. Soucieux des finances de l’Etat, il présente en séance un amendement mettant l’ensemble de la dépense à la charge des Chambres de commerce, du département et des villes. C’est un changement politique qui s’étendrait à tous les ports maritimes et les pénaliserait alors qu’ils sont soumis à la concurrence des ports étrangers. Les Chambres de commerce, principales concernées, devraient assurer un financement gagé sur le développement du trafic en créant de nouvelles taxes !
Malgré ces arguments, le Sénat approuve l’amendement présenté. Il est donc nécessaire d’étudier les modalités d’application du financement. Or, les simulations montrent que la charge atteindrait pour Le Havre un niveau trop élevé. Alors Teisserenc de Bort propose de constituer un syndicat entre les Chambres de commerce du Havre et de Rouen pour prendre en charge solidairement la totalité des dépenses ! On voit d’ici les réactions des Chambres de commerce, notamment celle de Rouen appelée par solidaritéà une péréquation des droits pour éviter qu’ils ne soient trop élevés au Havre !
Finalement, la commission sénatoriale estime qu’il est rationnel et nécessaire que l’Etat prenne à sa charge une partie des dépenses, en observant, toutefois, que le projet du gouvernement n’appelle pas à une hauteur suffisante les contributions locales.
Dans cet embarras, le ministre est satisfait d’attendre le renouvellement du Sénat pour reprendre le débat, en 1891 seulement !
Le débat revient ainsi à l’ordre du jour du Sénat le 25 juin 1891. Chacun attend que l’on délibère sur l’amendement Teisserenc et sur le financement des travaux. Nouveau coup de théâtre ! Un sénateur fait adopter une loi limitant le programme des travaux du port du Havre à l’approfondissement du chenal ! Le souffle que la commission Fargaudie avait créé, est éteint ! Mais le ministre montre que les travaux d’endiguement de l’estuaire seraient également condamnés si les mesures de protection du port du Havre n’étaient pas prises simultanément ! Le président du Sénat obtient alors de l’assemblée un vote de renvoi du projet au gouvernement : ce qui s’appelle « botter en touche » !
Et nous passons ainsi au projet tronqué. Il va aboutir par des étapes successives au port que nous connaissons, sans que nous ayons à regretter la réalisation du projet Fargaudie qui aurait entraîné la disparition de la plage et du magnifique panorama qu’elle offre sur le large !
Le « projet tronqué »
Il est nécessaire de réduire la dépense. Aussi, les ingénieurs proposent un nouveau projet le 8 février 1892. Ce projet n’est pas signé mais on peut penser qu’il a étéélaboré par l’ingénieur Vétillard, cité dans une délibération du conseil municipal du Havre.
Ce projet (p. 56/1) n’a pas l’ampleur du précédent. Toutefois, il permet de doter le port du Havre d’une nouvelle entrée dans les eaux profondes de la rade sans que les sables de l’estuaire puissent l’atteindre. Le projet comporte trois éléments essentiels : un endiguement constitué de deux ouvrages encadrant l’entrée du port ouverte vers l’ouest, abritant un nouvel avant-port, un remodelage complet de l’ancien avant-port avec un quai d’escale, un grand sas donnant accès aux grands bassins à flot, le bassin de l’Eure et le bassin Bellot.
Le nouveau bassin serait draguéà la cote (-4,50). Il serait orienté vers l’ouest et deux routes seraient offertes aux navires : l’une, traditionnelle, orientée au sud-ouest comme certains le souhaitaient encore, et l’autre orientée au nord-ouest vers les profondeurs les plus importantes. Ce projet est ainsi un compromis !
Le sénateur Le Souëf présentant le projet ne se prive pas de rappeler que la question était à l’étude du gouvernement… depuis quinze ans et que le parlement en délibère depuis dix ans, alors que les ports étrangers concurrents, eux, s’équipent. Trente ans auparavant, rappelle-t-il, le trafic du Havre était le double de celui d’Anvers. Après les énormes travaux qui ont été entrepris dans ce port belge, son trafic est passé de 0,6 à 4,6 millions de tonnes. Le sénateur fait une excellente plaidoirie.
Avant d’avoir été présentéà la Chambre puis au Sénat, le projet du « port tronqué » a été soumis aux locaux pour quérir leur participation aux dépenses. La ville du Havre et la Chambre de commerce l’approuvent sans enthousiasme : ce n’est qu’une étape au regard des grands projets imaginés plus de dix ans auparavant et sa réalisation garantira-t-elle que les accès restent à l’abri des sables de l’estuaire ? Les conseillers généraux, eux, ne manquent pas d’exprimer leur mécontentement à propos des exigences du gouvernement sur la participation locale au financement. Le rapporteur n’hésite pas àécrire : « On vous traite comme on n’a jamais traité personne [… mais] c’est, comme on dit vulgairement, à prendre ou à laisser ». Après ces excès de mauvaise humeur, la raison l’emporte. La Chambre de commerce de Rouen et le conseil municipal de Rouen acceptent également le projet et le dispositif financier, d’autant plus facilement que le projet est maintenu intégralement pour ce qui concerne la basse Seine.
Va-t-on enfin aboutir ? Las ! Dans une lettre du 2 février, le ministre informe le président de la Chambre de commerce que le Sénat décide de limiter la dépense à la charge de l’Etat à la moitié de la « dépense prévue ». Le Sénat demande ainsi à la Chambre d’assumer les dépassements éventuels d’estimations faites par les ingénieurs de l’Etat : c’est un comble ! Mais avec sagesse, la Chambre de commerce estime que les combats ont assez duré et elle s’incline devant la décision du Sénat. En octobre 1892, le montage financier est accepté.
En novembre, l’enquête d’utilité publique est lancée et en juillet 1894, le projet est déposé sur le bureau du Sénat. Mais rien ne se passe alors que de nouveaux incidents nautiques se produisent ! Le 6 octobre 1894, répondant à l’invitation du président de la Chambre de commerce, le ministre de la Marine Félix Faure, accompagné du ministre des Travaux publics, M. Barthou, viennent au Havre : ils déclarent que les travaux ont une portée nationale et qu’ils sont nécessaires pour contrer la concurrence très vive des ports étrangers.
Après encore quelques discussions, le Sénat, le 17 décembre 1894, émet un vote favorable, suivi par la Chambre des députés le 19 février 1895. Enfin ! L’événement est salué par les Havrais. L’hôtel de ville est illuminé et le sémaphore, ainsi que les établissements publics, sont pavoisés. La loi est promulguée le 19 mars 1895. Par rapport aux ambitions du projet Bellot et de la commission Fargaudie, ce projet est étriqué. Les Havrais doivent s’en contenter. Ils savent si bien faire que le projet « tronqué » va être modifié, à un point tel que l’on ne le reconnaît pas !
Le projet tronqué prend de l’ampleur
Le projet tronqué présente un défaut important. Alignant le chenal, l’entrée du port, le quai d’escale et le sas éclusé pour simplifier la manœuvre des navires, les dimensions restreintes de l’avant-port ne permettent pas d’atténuer l’épanouissement de la houle. La sécurité des portes du sas éclusé et celle des navires accostés au quai d’escale ne seraient pas assurées. La Chambre de commerce et les ingénieurs n’auraient-ils pas présenté ce projet tronqué que pour franchir la barrière du Sénat ?
Dès la loi promulguée, le président de la Chambre de commerce soumet au directeur de la navigation « une modification à apporter au projet d’amélioration du port du Havre ». La Chambre soutenue par les ingénieurs entreprend d’élargir le projet tronqué. Les plus avisés estiment qu’il ne faut pas renoncer à l’aménagement de la passe du nord-ouest, seule apte à ouvrir le port vers les plus grandes profondeurs. Ils observent également qu’il convient de réserver l’accès aux nouveaux bassins qu’un jour il faudrait conquérir sur l’estuaire.
Une simple modification ? Le chenal d’accès ne serait orienté qu’au nord-ouest, et l’avant-port serait plus vaste. Pour cela, l’enracinement de la nouvelle digue nord serait déplacé de près d’un kilomètre vers le nord, et sa longueur presque doublée. Celle de la digue sud serait prolongée d’au moins 400 m. Ainsi dans cet avant-port élargi, la houle s’y épanouissant perdra son énergie : le quai d’escale et le sas éclusé ne seraient plus exposés qu’à une faible houle résiduelle (p. 56/2).
Entre ce nouveau plan et celui qu’avait approuvé la loi de février 1895, la différence est telle que l’on a l’impression de ne pas voir le même projet ! C’est un véritable pied de nez adressé au Sénat, montrant que la volonté et la détermination des « locaux » ont surmonté tous les obstacles qu’ont dressés certains sénateurs.
Comment est-on passé d’un projet tronquéà un projet beaucoup plus ambitieux, conçu dans une vision large ? Comment est-on parvenu à vaincre les oppositions, à franchir les obstacles élevés par les députés et sénateurs contre les projets précédents ? Mystère. L’élection de Félix Faure à la présidence de la République a-t-elle contribuéà cette transformation ?
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