On connait la célèbre formule de Victor Hugo dans l'une des lettres qu'il envoie à sa maîtresse alors qu'il visitait le Mont Saint Michel dans les années 1830: à l'époque, le joyau spirituel de la Normandie médiévale était une sinistre prison et Hugo avait alors dénoncé la présence d'un "crapaud dans un reliquaire".
Napoléon III entendit le coup de gueule du poète qu'il a fait fuir à Guernesey: la prison centrale ferma en 1863, le Mont fut classé Monument Historique national et un long chantier de restauration fut entrepris et achevé en 1897 avec la pose d'un archange Saint Michel doré au sommet d'une flèche néo-gothique à 150 mètres au dessus des grèves.
Aujourd'hui, le Mont Saint Michel est victime d'une nouvelle captivité: il est devenu la "Tour Eiffel du Moyen-âge" et un autre crapaud gavé d'omelette prospère au pied du reliquaire séculaire en partie privé de sa signification spirituelle.
Après le rétablissement du caractère maritime du Mont Saint Michel qui retrouve enfin ses grandes marées montantes, l'urgence est, dorénavant, au rétablissement du caractère spirituel du Mont Saint Michel: la grande marée touristique ne doit plus seulement charier du quantitatif avec espèces sonnantes et trébuchantes mais apporter du qualitatif et de la transcendance.
Et seul le retour à l'authenticité et à la qualité dans l'accueil et les propositions faites sur place aux visiteurs considérés non pas comme des pigeons à plumer sur place mais comme de modernes pélerins, permettra de sauver l'âme des lieux et de chasser définitivement le crapaud du reliquaire.
Et cette authenticité ne peut être que celle d'une évidence. Une évidence normande.
Nous relayons, bien volontiers, le coup d'humeur qui suit émanant du dernier communiqué du Cercle Normand de l'Opinion reçu ce 12 juin 2018 au courrier de la rédaction de l'Etoile de Normandie:
MONT – SAINT – MICHEL : JUTEUSE POMPE A FRIC OU APPEL DE L’ARCHANGE ?
Sans vergogne, un organisme nantais de promotion touristique, le Voyage à Nantes, propose un parcours culturel (sic!) pour développer la fréquentation de cette ville qui, aux dires de son directeur, « n’existe plus au-delà des pays européens voisins. A l’Ouest, le Mont – Saint – Michel est le seul site mondialement connu. Sur le plan international, la Bretagne est une région identifiée. D’où cette idée de construire un parcours de Nantes au Mont – Saint – Michel, en traversant la Bretagne (…) Traversée moderne d’un vieux pays. Référence évidente à cette Bretagne historique dans laquelle Nantes et le Mont – Saint – Michel voisinaient au XIXe siècle ».
Les Normands reconnaîtront sans peine l’habituel et ridicule impérialisme breton, mais à bien y regarder, l’instrumentalisation sordide de ce haut-lieu considéré comme l’apothéose d’un parcours destinéà« vendre » le pays breton pose de nombreuses questions auxquelles la Région normande et ses habitants devraient répondre…
La lecture d’une récente contribution du CESER de Normandie, largement reprise dans un article, très… parisien d’esprit, du Figaro (13 mai 2018), montre à l’évidence que certaines instances normandes s’inscrivent, elles aussi, dans une approche à la fois gestionnaire et financière, bref sordide, de « l’exploitation de ce site, l’un des plus visités de France (2,5 millions de visiteurs par an).
Que la Cour des Comptes, dans un récent et retentissant rapport, dénonce la complexité d’une gestion dans laquelle l’État, la Réunion des Musées Nationaux, différentes instances locales se tirent la bourre et ne sachent pas faire une bonne promotion de ce site grandiose est dans la mission
de cet organisme, qui propose d’ailleurs la création d’un E.P.I.C. (Etablissement Public , Industriel et
Commercial). Chacun doit en tenir… compte.
Mais que l’Assemblée rassemblant les diverses composantes de la société civile normande ne sache pas s’élever au-dessus des contingences matérielles en dit long sur une certaine médiocrité intellectuelle…
On ne peut faire l’impasse sur la dimension spirituelle et culturelle du Mont – Saint – Michel.
Pour la Normandie, d’abord, ce doit être une apothéose. L’aboutissement de la Route des Abbayes normandes. L’aboutissement des chemins montois que des associations s’efforcent de revivifier, retrouvant ainsi la grande aventure des pèlerinages médiévaux. Il est significatif que le 13 mai dernier ait eu lieu l’inauguration du « clou » de départ du chemin d’Ouistreham, en l’Église Saint Samson de ce port par lequel arrivent aujourd’hui des marcheurs britanniques voulant se rendre au Mont – Saint – Michel.
Dimension spirituelle, mais aussi culturelle : le riche patrimoine de la Normandie médiévale s’offre ainsi à un tourisme intelligent. Et plus encore, dimension identitaire pour laquelle tous les Normands doivent se mobiliser : Saint Michel n’est-il pas le patron des Normands et le 29 septembre le jour de la Fête aux Normands ?
Caen, le 11 juin 2018
C.N.O.