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CAEN, abbaye-aux-Dames, 19 janvier 2019: RECONNAISSANCE OFFICIELLE DE LA LANGUE NORMANDE

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Il faut en être certain.

Cette matinée du 19 janvier 2019 restera comme une journée mémorable dans l'histoire contemporaine de la Normandie et tout particulièrement dans l'histoire de la renaissance normande qui fait suite au retour à l'unité régionale depuis trois ans...

Le bel auditorium aux charpentes de l'abbaye-aux-Dames de Caen, siège du conseil régional de Normandie était bondé: on est venu très nombreux des cinq départements normands pour assister à cette "journée constitutive", voire constituante d'une politique régionale culturelle totalement normande. Certains acteurs de cette société civile mobilisée avec passion pour sauver, parfois à bout de bras et avec trois fois rien, un patrimoine immatériel séculaire menacé de disparition attendait ce moment depuis 40 ou 50 ans. Les Normands sont patients. Trop patients. Et la ferveur bienheureuse que l'on a pu observer lors de cette matinée s'est faite mesurée, lucide... Témoignage d'un participant regagnant sa voiture pour repartir à Bricquebec: "c'était très bien. Je ne pensais pas qu'un jour j'applaudirais Hervé Morin!"

Pour l'Etoile de Normandie, nous étions sur place. Nous vous proposons donc notre compte-rendu de cet événement historique à lire ci-après.

Mais avant, nous laissons volontiers la parole àNicolas Abraham, le président de la FALE, la fédération régionale des associations promouvant la langue normande car il pose d'emblée le problème qui, avec la division normande, a fait retarder la prise de conscience sociale, institutionnelle du fait linguistique normand.


 

Manifeste pour la reconnaissance de la langue normande

"Muss es sein? Es muss sein! "

(Beethoven, exergue du dernier mouvement de son dernier quatuor)

Nicolas ABRAHAM
Président de la FALE

Peut-on parler de "langue normande" ?

Le normand est multiple, complexe. L'atlas linguistique de Patrice Brasseur est en cela riche d'enseignements et nous montre la grande diversité de langage de part et d'autre de la Normandie. Une même idée ne se traduit pas toujours pas les mêmes mots dans le Cotentin ou le Caux (sans parler de la ligne Joret et des parlers du sud). On est au-delà de simples différences de prononciation et c'est ce qui peut faire douter. Le picard est-il à ce point différent du cauchois pour qu'on y voit deux langues distinctes ? Je ne suis pas linguiste et je ne prétend pas avoir la réponse sur le sujet. Je retiens surtout que le normand est multiple, qu'il serait idiot de chercher à l'uniformiser pour en faire une langue artificielle et qu'au fond on peut accepter l'idée qu'il y a des parlers normands. Mais si l'on arrête à cela, on signe à terme la mort du normand.

Je me suis à plusieurs reprises posé la question de savoir s'il l'on pouvait parler de "langue" normande.
J'ai cherché, j'ai comparé, j'ai tenté de me faire une opinion et c'est finalement un article d'André Dupont qui m'a apporté la lumière.

Est-ce que l'on PEUT parler de langue normande ? d'un point de vue purement linguistique peut-être pas.
Pourtant on DOIT parler de la langue normande

"PARCE QU'IL LE FAUT, POUR DES RAISONS DE DIGNITE ET POUR OBTENIR LA RECONNAISSANCE DE NOS DROITS, AU MÊME TITRE QUE D'AUTRES COMMUNAUTES DE L'HEXAGONE".

On doit parler de langue normande parce qu'il le FAUT pour assurer son avenir.

André Dupont cite fort à propos l'exemple des Bretons qui eux aussi avaient de multiples parlers."Leur obstination à parler de langue, langue, langue, depuis le début du XIXe siècle a porté ses fruits", maintenant on reconnaît le breton comme une langue régionale, parce que les Bretons ont réussi à s'imposer cette idée. Ils ont aussi eu le malheur de vouloir unifier le breton avec le Diwan pour renforcer ce sentiment de langue mais ce n'est pas ce que je souhaite pour le normand. Une tentative d'unification ne ferait qu'éloigner les locuteurs encore existants comme cela a été le cas outre-Couesnon. On doit encore pouvoir dire en entendant parler un Normand, à son intonation, à sa prononciation, à son vocabulaire"lui il est de la Hague", "lui il est du Coutançais", "lui du pays de Caux". La Normandie a trop souvent été victime de la centralisation pour tomber elle-même dans ces travers. Gardons nos parlers normands mais osons nous aussi le mot de langue PARCE QU'IL LE FAUT.

Le sens des mots évolue avec le temps, hélas pourrait-on dire, est alors que Louis Beuve, parlait affectueusement de "patois" sans y voir aucunement quelque chose de dévalorisant, bien au contraire, fort est de constater que le terme de "patois" est aujourd'hui fortement connoté et dévalorisé. Les termes de "parler" ou de "dialecte" s'inscrivent eux aussi dans une forme de hiérarchisation. Et lorsque l'on voit la richesse de la littérature d'expression normande, comment pourrait-on l'enfermer sous ce terne de parler ?

Si le normand était considéré, reconnu et défendu comme il le mérite, ce débat n'aurait pas lieu d'être. Qu'importe selon moi que l'on parle de patois, de parler, de dialecte ou de langue, pourvu qu'on le défende et qu'on ose en faire la promotion.

Trop souvent le normand est dénigré, moqué, combien d'anciens parlant normand dans leur jeunesse l'ont oublié et n'ont pas voulu le transmettre à leurs enfants parce qu'on leur a répété que c'était quelque chose de mal, de dévalorisant que de parler normand. Alors s'il faut parler de "langue" pour être pris au sérieux, pour que l'on se décide à la sauvegarder et à ne pas la laisser mourir, oui je parlerais de LANGUE NORMANDE, parce qu'il le faut "pour des raisons de dignité".

Peut-être est-ce nécessaire pour que les Normands retrouvent la dignité de communiquer entre eux dans le phrasé de leurs pères. Peut-être que dans quelques temps le mot "patois" aura perdu sa connotation péjorative et qu'à nouveau on acceptera de parler simplement du "patois normand", tel qu'il existait dans l'esprit de Beuve et d'autres.

Mais au fond, une nouvelle fois, qu'importe le terme qu'on l'on emploie, que le normand soit langue, parler, dialecte, patois, défendons le, sauvons le, et aimons le. PARCE QU'IL LE FAUT.


 

COMPTE-RENDU réaliséà partir de nos notes personnelles. (On rappelera que seul le prononcé fait foi):

 

Propos liminaires par Edouard de Lamaze, conseiller régional

 

La langue régionale fait pleinement partie du patrimoine culturel de la Normandie. Faut-il craindre un repli identitaire si on la promeut ? Est-il possible de promouvoir une langue normande alors qu’il existe plusieurs parlers normands ? Va-t-on aggraver la fracture de l’unité nationale et sombrer dans des revendications identitaires régionalistes alors que le conseil régional valorise la « Normandie région Monde », région de la Paix ouverte sur l’Europe et l’international ?

 

Ces craintes sont inutiles mais elles témoignent de l’agressivité de la tradition jacobine française contre l’identité régionale et les langues régionales qui mettraient en péril l’indivisibilité de la République. C’est ainsi que la Charte européenne des langues régionales n’a toujours pas été ratifiée par la France (2015).

 

La promotion de la langue normande s’inscrit dans une position girondine chère à Lamartine et à Hervé Morin. Parler et promouvoir une langue régionale, ce n’est pas un repli identitaire, c’est avant tout une culture sensuelle, spirituelle pour être au monde. C’est essentiel pour l’être humain.

 

La philosophe Simone Weil a fait savoir que l’enracinement spirituel était un besoin essentiel pour l’âme humaine : des racines partent et vivent des communautés humaines. Un patrimoine et des héritages permettent de fonder des vies morales, intellectuelles et spirituelles. La langue est l’une de ces racines vitales et comme la biodiversité menacée par la pollution, il faut s’inquiéter de la diversité linguistique menacée par l’actuelle standardisation car chaque mot de chaque langue enrichit le patrimoine de l’Humanité.

 

Si le français est devenu la langue nationale de la France, ce n’est pas en raison de qualités intrinsèques particulières mais parce qu’il fut le dialecte du roi de France qui résidait à Paris : c’est par une volonté politique très forte que le français s’est imposé parmi les autres dialectes d’oïl.

 

Les locuteurs normands ne concerneraient que 0,57% de la population régionale : faut-il se pencher sérieusement sur cette marginalité culturelle en voie de disparition et y consacrer de l’argent public ?

 

Oui car il s’agit d’un patrimoine culturel immatériel essentiel à la Normandie qui est en danger et signalé, d’ailleurs, comme tel par l’UNESCO.

 

Depuis la loi NOTRe (2015) qui a redéfini le périmètre des compétences régionales, le conseil régional a le devoir d’assurer  la défense et la valorisation des langues régionales présentes sur le périmètre régional.

 

En l’état, héritant de la situation préexistant à la réunification de la Normandie, le conseil régional soutient financièrement l’association la Loure (Yvon Davy) et un pôle de recherches sur le patrimoine ethnologique régional (fabrique des patrimoines) avec des budgets qui ont été augmentés.

 

Mais il faut aller beaucoup plus loin et définir une politique publique régionale spécifique de soutien et de valorisation de la langue normande.

 

 

 

Intervention de Stéphane LAINE, enseignant chercheur en dialectologie à l’université de Caen

 

Présentation très rapide et synthétique de l’histoire linguistique de la France et de la Normandie. Elle sera faite en deux parties : synthèse tout d’abord, enjeux pour finir.

 

SYNTHESE :

 

Aux origines, était la « Romania » c’est-à-dire l’aire linguistique latine associée à l’empire romain dans son extension maximale, de l’Ecosse à l’actuelle Roumanie. De l’actuel Maroc à l’Arménie. La fragmentation de cette immense aire latine commence dès le IVe siècle et surtout lors des invasions des peuples germaniques du Ve siècle. L’ancienne Gaule romaine perd son unité linguistique et se trouve partagée en deux grandes aires qui ont été distinguées par les deux anciennes façons de dire « oui » : au Nord les langues dites d’oïl et au Sud les langues dites d’oc, plus une 3ème aire pour le franco-provençal sur les Alpes et la vallée du Rhône. Sur les marges de cette aire linguistique qui donnera naissance au français, on trouve des isolats linguistiques étrangers : le celte et breton à l’ouest, le basque au sud-ouest, le flamand au nord.

 

Dans ces trois aires linguistiques françaises se sont constitués les différents parlers régionaux qui constituent autant de variations linguistiques par rapport au Francien ou Francique parlé dans l’Ile-de-France et à Paris et qui a imposé sa suprématie culturelle, symbolique et politique sur les autres dialectes même s’il fallut attendre François 1er et sa célèbre ordonnance de Villers-Coterêts pour que le français remplace le latin dans l’administration et le savoir car le latin savant et écrit servait encore àétablir pour les élites françaises une unité linguistique culturelle (koïné) qui n’était pas encore réalisée par la langue française.

 

Face aux variations régionales du français, l’établissement et l’imposition d’un français normé unifiant le pays se fit lentement : en 1635 l’académie fut créée pour cette raison mais le premier dictionnaire de la langue française ne parut qu’en 1694.

 

C’est, bien entendu, la Révolution française qui constitue le moment décisif. En 1789, il y avait 28 millions de Français dont 12 millions ne parlaient et ne comprenaient que leurs « patois ». Seuls 3 millions connaissaient et pratiquaient le français dit « pur » maîtrisé par les élites. Par idéalisme, les Constituants approuvèrent d’abord l’idée de traduire les lois dans les divers parlers régionaux mais cette idée fut vite abandonnée : trop cher et trop complexe. En revanche, achever l’unification linguistique de la France semblait être l’évidence, une évidence plus urgente et plus facile à mettre en œuvre. L’abbé Grégoire fut chargé en 1790 d’écrire un rapport sur le sujet après avoir fait une vaste enquête dans toute la France. Son rapport de 28 pages parait en 1794 : il préconise d’anéantir les patois de procéder à l’unification linguistique dans le but de faire du français une langue universelle en instaurant un enseignement obligatoire et exclusif du français normé dans les petites récoles rurales.

 

L’empire de Bonaparte-Napoléon ayant eu d’autres urgences, cette politique linguistique héritée du rapport de l’abbé Grégoire reprit de plus bel avec les lois scolaires de François Guizot (1833) et surtout celles de Jules Ferry (1882) sous la IIIème République : pour des raisons notamment stratégiques et militaires, il a fallu procéder à la « nationalisation » des Français.

 

En tant que dialectologue reprenant le travail et l’œuvre scientifique de René Lepelley, Stéphane Lainé estime qu’il faut considérer les langues régionales plus comme des variations régionales du français normé dominant que comme des langues à part entière. De même, il faut cesser de considérer avec mépris et condescendance les « patois » ou les « parlers » régionaux comme n’étant que du français déformé pratiqué par des classes populaires rurales socialement marginalisées.

 

L’étude des variations linguistiques régionales françaises (prononciation, lexique, syntaxe, onomastique, toponymie) est très intéressante et permet de définir précisément les aires linguistiques régionales des langues d’oïl et d’oc.  Pour ce qui est de la Normandie, ce travail a été fait par Charles Joret et René Lepelley.

 

Charles Joret a défini la « ligne Joret » bien connu qui définit une « isoglose »à savoir une aire homogène de prononciation. Ainsi au Nord de cette ligne, nous savons que les chats deviennent des cats. Cette ligne parcourt d’Ouest en Est toute la Normandie en laissant au Sud, l’Avranchin, l’ensemble du département de l’Orne, le pays d’Ouche et le Vexin. Cette « isoglose » daterait du XIIIe siècle.

 

Mais la Normandie linguistique participe d’une aire dite « Grand-Ouest » où l’on pratique volontiers la palatisation du é devenant oi : la limite court de l’estuaire de la Gironde au Sud, traverse le Perche et remonte jusqu’aux côtes de la Manche en coupant le Pays de Caux en deux. C’est ainsi qu’à l’ouest de cette ligne on dira « mé » plutôt que « moi » ou que l’on dira « goule » plutôt que « gueule » ou encore « dreit » au lieu de « droit ».

 

Enfin, la Normandie est partagée entre Ouest et Est par une autre « isoglose », lexicale celle-là : c’est ainsi que dans l’Ouest normand on dira « floé » ou « fleur » pour dire farine, « ber » au lieu de cidre ou « sid », « courtil » ou « gardin » au lieu de jardin, une « trub » au lieu d’une pelle.

 

Les parlers normands sont, bien entendu, très spécifiques mais ils se placent dans un ensemble linguistique plus vaste et en croisant l’ensemble des paramètres dialectologiques, on obtient une mosaïque linguistique normande pavée de sept grandes zones : Cotentin-Bessin-bocage Virois / Avranchin-Domfrontais- Passais / Plaines de Caen et de Falaise- Pays d’Auge/ Houlme- Hiesmois- Ouche/ Lieuvin- Grand Caux- Roumois / Perche et Vexin/ Bray et Talou.

 

Le dialectologue Patrice Brasseur vient d’achever son travail monumental d’édition d’un atlas linguistique complet de la Normandie en 5 volumes, travail commencé dans les années 1970 : 697 locuteurs témoins ont été enquêtés.

 

Les originalités linguistiques normandes sont bien connues :

 

Il y a, tout d’abord, des archaïsmes qui ont été abandonnés par le français standard : le « mêle » au lieu de merle, la « mé » au lieu de la mer, le « boué » au lieu du bois…

 

Mais il y a surtout la présence forte de l’onomastique et de la toponymie d’origine scandinave qui fait toute l’originalité de la Normandie linguistique.

 

On a ainsi pu identifier la ligne des « tots », suffixe de lieu d’origine norroise  et qui parcourt, en ondulant, d’Ouest en Est toute la Normandie : côte Ouest du Cotentin, littoral du Bessin, vallée de l’Orne et Pays d’Auge, vallée de la Seine et l’ensemble du plateau cauchois…

 

En toponymie, l’élément le plus caractéristique fut l’association systématique faite au Xe siècle entre un nom d’homme scandinave et le suffixe latin « villa » pour indiquer l’installation des nouveaux maîtres des lieux d’où cette profusion extraordinaire des noms de communes en –ville, tout particulièrement dans le clos du Cotentin et sur le plateau de Caux où l’on retrouve souvent les mêmes noms.

 

Certains noms de famille normands ont gardé directement cette origine scandinave : Anquetil veut dire littéralement « le chaudron des dieux ».

 

Enfin 25% des noms de famille normands commencent par Le- : Lelièvre, Lefebvre… etc.

 

ENJEUX :

 

Revenons à la problématique de définir un « français régional » qui n’est ni une langue étrangère par rapport au français normé et qui n’est pas non plus le « patois » rural en voie de disparition.

 

Par rapport à ce dernier dont les locuteurs ont la conscience d’être les seuls et les derniers à le parler, les locuteurs du français régional qui est, au contraire, du « patois » rural très communément répandu tant à la ville à la campagne n’ont pas conscience de le parler au point qu’ils le confondent avec le français normé appris à l’école : il n’y a pas de conscience linguistique suffisante au sujet du français régional, là est le problème.

 

C’est ainsi que de nombreux usuels en Normandie sont inconnus dans d’autres régions françaises : la clenche est ici préférée à la poignée de porte. On dit plutôt ici la carre pour « à l’angle de la rue ». La moque (qui nous vient du scandinave et qui a donné le « mug » anglais) remplace la tasse de thé ou de café.

 

Il y a une urgence linguistique française face à la banalisation, la standardisation et l’appauvrissement lexical et syntaxique dans une mondialisation culturelle qui impose son standard Nord-américain: les parlers régionaux sont particulièrement en danger car la société rurale qui les fait vivre est en train de disparaître ou se transforme profondément : la transmission ne se fait plus.

 

Il y a urgence à collecter et à numériser tout ce qui peut l’être avant que les derniers locuteurs ne meurent. Il faut mettre à profit les outils numériques notamment en numérisant les ressources et en les partageant largement sur Internet : la chose a été faite pour l’occitan avec le « Thésoc ».

 

Il faut encourager toutes les initiatives qui défendent et promeuvent le patrimoine linguistique normand tout en refusant toute normalisation linguistique prétendant à unifier la langue normande : ce serait artificiel. Ne faisons pas la même erreur que les Bretons en faisant au niveau régional ce qu’on a fait au niveau national avec le français.

 

Il faut décomplexer l’usage du français régional de Normandie en éduquant à l’onomastique normande qui est très forte et originale : les journalistes devraient s’y former. Un peu de curiosité intellectuelle suffit.  Notamment pour nommer les communes nouvellement fusionnées où l’on voit sortir des noms totalement ridicules ! Les élus locaux n’ont pas le réflexe de consulter les historiens ou les dialectologues et c’est bien dommage…

 

Franck Dubosc devrait se dire « Franck Dubô » et les journalistes de la Presse de la Manche devraient cesser de nous infliger les « Manchois » alors qu’ils sont plutôt « Manchots et Manchotes ». On devrait informer les touristes parisiens perdus chez nous que « Vâteville » est certainement plus vaste que « Vasssteville » ou que « Champ repus » est plus explicite que « Champ prépuce » ! D’où l’utilité d’afficher là où c’est pertinent en Normandie des panneaux à l’entrée des communes avec le nom normand avec sa prononciation normande, à condition de s’entendre sur celle qui pourrait faire consensus ! C’est ainsi qu’un panneau « Barffleu » a été ajouté sous le panneau officiel de « Barfleur » graphie suivant l’onomastique officielle des communes de France fixée par décret en… 1943.

 

CONCLUSION : Il faut remercier très chaleureusement Hervé Morin d’initier une volonté politique forte sur ce sujet longtemps, trop longtemps négligé car il y a urgence à sauver le patrimoine linguistique normand. Il faut une nouvelle politique régionale associant tous les acteurs autour d’un consensus « violemment modéré » sur la question de la langue en Normandie, sans ces excès que nous laisserons volontiers à une région voisine.

 

Edouard de Lamaze reprend brièvement la parole pour confirmer une volonté politique régionale nouvelle tout en saluant l’action de la société civile normande qui, par son action, a suppléé,  des années durant, à l’absence d’un conseil régional normand en raison de la division administrative. A ce titre, le Mouvement Normand qui a assuré la captation vidéo intégrale de cette mémorable journée a été chaleureusement remercié pour son action militante en faveur du retour à l’unité normande.

 

Alain MARIE nous lit, ensuite, deux textes de l’auteur patoisant Charles Lemaître néà Saint Georges d’Aunay en 1854 et mort à Caen, rue Haute en 1928 : sa maison miraculeusement épargnée par les bombes de 1944 existe toujours !

 

Cet auteur a mis en scène dans ses contes, avec tendresse et ironie, le petit peuple normand de son temps. Extrait du « petit valet » : Mais j’dors coume un rouéà la tchaleur des vaques…

 

TABLE RONDE N°1 autour de la présence de Gaïd Evenou de la DGLFLF (sic !) un service du Ministère de la Culture qui devrait communiquer davantage avec le Ministère de l’Education Nationale !

 

Gaïd EVENOU :

 

Les services de l’Etat reconnaissent, outre le français, quatre-vingt langues de France notamment en Outre-mer. Le débat sur la non ratification de la charte européenne des langues régionales a fait prendre conscience à certains que la France n’était pas monolingue et qu’il y a urgence à préserver une diversité culturelle linguistique menacée.

 

L’UNESCO a décrétée que 2019 est l’année consacrée à la promotion des langues autochtones en danger. Le normand peut être considéré comme une langue autochtone en danger de disparition. Il faut donc mettre en œuvre un observatoire scientifique des pratiques linguistiques régionales et intégrer le patrimoine linguistique normand dans le corpus du Trésor de la parole qui recense le patrimoine des langues de France…

 

Hervé Morin, assis au premier rang, interpelle la haut-fonctionnaire de l’Etat :

 

« Vous financez à 100% ? »

 

La transmission culturelle linguistique s’est arrêtée à cause du mépris. Le patois régional garde une image très péjorative, il n’est pas enseignéà l’école.

 

La DGLFLF finance une mission numérique et des appels à projets innovants. Et Gaïd Evenou de présenter deux exemples de projets innovants qui ont fait murmurer la salle :

 

Le conseil régional de Bretagne a fait numériser des messages sonores en breton pour diffuser une information pratique dans les espaces publics (gares, aéroports…).

 

Pour les locuteurs picards, alsaciens et occitans, les conseils régionaux respectifs financent, actuellement, des projets de mise au point de claviers prédictifs pour les téléphones portables.

 

Bref ! Les Normands sont très en retard !

 

Néanmoins, la Normandie est présente dans l’atlas sonore des langues régionales de France mais que de façon partielle : seuls les littoraux avec le Cotentin d’une part et le pays de Caux d’autre part ont été considérés. La Normandie de l’arrière-pays n’est pas couverte ou connue par ce service spécialisé de l’Etat central… Il faut donc relancer le collectage ou faire connaître le collectage déjà réaliséà la DGLFLF (re-sic !)

 

Pour aggraver notre cas, Gaïd Evenou fait savoir que la Normandie est toujours absente des publications de la revue spécialisée « Langues et cités »éditée par la DGLFLF. Des fascicules existent pour le breton, le corse, l’occitan, le basque ou l’occitan. Mais rien sur le normand.

 

Olivier ENGELAERE : directeur de l’agence régionale de la langue picarde

 

Il se dit, d’emblée, très heureux de participer à cette réunion organisée en Normandie par le conseil régional de Normandie… Enfin !

 

L’intervention du témoin Picard a pu révéler à tous le paradoxe normand : une région trop prestigieuse par son patrimoine historique et trop évidente dans son identité géographique pour qu’il faille s’en préoccuper. En Picardie, c’est le contraire : l’identité régionale y est très artificielle. Le nom de Picardie ne date que du XVe siècle et le comté historique de Picardie qui s’est étendu du littoral du Pas-de-Calais à la Thiérache au Nord-Est a connu une existence àéclipses. Ce territoire historique picard se retrouve aujourd’hui à faire le liant de la toute nouvelle région « Hauts-de-France », un nom encore plus artificiel que la région : « Nord-Picardie » aurait été mieux.

 

Contrairement à l’évidence normande, la région Picardie s’est interrogée sur son identité dès les années 1960 lors de la création d’une universitéà Amiens en 1965 associée à la création d’un office culturel picard : la question de créer une identité régionale à partir de la langue picarde a été perçue immédiatement. Mais s’est aussi posée la question de l’unité linguistique d’une aire picarde allant de la frontière normande au Sud (Ponthieu- Vimeu) en passant par le val de Somme jusqu’au-delà de la frontière belge avec une Wallonie belge francophone revendiquant ses origines picardes. Malgré tout, l’agence régionale de la langue picarde a été créée en 2008 et maintenue dans le cadre actuelle de la néo-région « Hauts-de-France ». Un dictionnaire numérique picard/ français a été réalisé et une sensibilisation au picard est proposé dans les écoles élémentaires avec la question de standardiser la graphie du picard pour permettre son enseignement.

 

Il faut, en effet, comprendre que la langue n’est pas qu’une réalité linguistique ou dialectologique. Ce n’est pas, non plus, qu’un patrimoine immatériel à défendre contre l’oubli : c’est un système culturel et social qui permet aux êtres humains de vivre leur vie ici et maintenant. Les Bretons ont réussi à faire de leur langue un système social et culturel au point que savoir parler breton permet de trouver plus facilement du travail ! Ne laissons pas la langue aux seuls linguistes ! (applaudissements nourris dans la salle).

 

Il faut donc développer une action culturelle, un lobbying pour faire connaître aux élites, décideurs publics et privés la langue régionale du territoire sur lequel ils agissent car, du côté de Lille et de la région « Hauts-de-France », le picard c’est, au mieux, que du patrimoine immatériel avec une littérature très ancienne qui remonte aux XIII et XIVe siècle lorsque la ville d’Arras créait le théâtre en langue française (tandis que la musique savante des cathédrales de Picardie faisait la conquête de l’Europe entière, c’est nous qui ajoutons). Au pire,  le picard est une sympathique curiosité culturelle qui fait sourire quand on ne la méprise pas surtout lorsqu’on confond l’ensemble picard avec le parler « chti» du Nord qui n’en est que la variante locale la plus connue sinon la plus médiatique (cf. Dany Boon). En effet, à Lille, on a des fonctionnaires régionaux « jacobins » qui craignent certains effets de l’identité linguistique régionale (cf. le cas flamand, outre –quiévrain) : c’est oublier que l’aire linguistique picarde est le seul lien d’unité réelle de la nouvelle région « Hauts-de-France » comme l’a démontré un sondage réalisé en 2015 à l’initiative du Courrier Picard et de la Voix du Nord avec 24% des opinions.

 

 

 

Jonathan LE TOCQ, ministre des affaires étrangères des Etats de Guernesey prend, ensuite, la parole :

 

Il témoigne d’abord qu’il a entendu parler le guernesiais quand il avait cinq ans et que les liens profonds historiques et culturels avec la grande terre normande du continent ont été maintenus avec le droit coutumier normand et la formation des avocats et magistrats de l’île à l’université de Caen (cf. Sophie Poirey). Dans son enfance, on « devisait » en guernesiais, la langue normande l’île. Mais après des années de suprématie anglophone, il faut sauver le patrimoine linguistique de l’île en réintroduisant l’enseignement du normand de Guernesey dans les écoles. En 2000 a été créée la commission de la langue avec études, collectages, promotions culturelles festives (cf. la fête des Rouaisons faite en partenariat avec les locuteurs normands du continent).

 

Le ministre s’est dit « heureux et ému » d’être présent à cette réunion : « il y a beaucoup de monde… ».

 

Hervé Morin, depuis son fauteuil, lance à la cantonade à son ami Jonathan :« Vous savez, tous ici que le Brexit c’est pour le 30 mars 2019. On ne va pas tout de même laisser tomber nos cousins des îles ! Le lendemain, le 1er avril, on fait la grande Normandie et on la refonde sur ses bases historiques avec les îles… et ce n’est pas un poisson d’avril ! » (Rires et tonnerre d’applaudissements dans la salle !)

 

Jonathan Le Tocq détaille, ensuite, quelques actions récemment prises pour promouvoir le guernesiais : l’enseignement dans les petites classes ; des cours du soir mais aussi… la traduction intégrale de la Bible disponible sur son smartphone !

 

Et pour finir, le ministre nous a donné quelques exemples de répliques dans cette savoureuse langue normande des îles :

 

« Coum chi l’affaire va ? - Hardi bien ! » (Comment vas-tu ? –Très bien !)

 

« A la perchoune ! » (Au revoir !)

 

Kit ASHTON (ethnomusicologue néà Jersey) :

 

Il excuse d’abord l’absence du député Montfort Tadier retenu à Jersey contre son gré en raison d’une liaison maritime insuffisante non sans ajouter qu’à Jersey, nous sommes des « Britanniques par erreur » (rires et applaudissements dans la salle).

 

Pendant très longtemps sur l’île de Jersey a existé un véritable trilinguisme : l’anglais officiel, le français parlé par les migrants venus, pour diverses raisons, du continent et le jerriais, la langue normande de Jersey. Mais après 120 années d’école anglaise obligatoire, cette richesse culturelle a été détruite. Dans le courant des années 2000, le Reform Jersey, le parti créé par Montfort Tadier pour construire une opposition critique contre les méfaits politiques et sociaux du paradis fiscal, a décidé de s’emparer de la question culturelle du jerriais avec des actions qui commencent à donner quelques résultats : cours de jerriais dans les écoles élémentaires ; cours du soir ; fêtes de promotion culturelle axée sur la musique et écriture de textes de chanson car les chansons sont de puissants vecteurs pour partager, apprendre une langue. C’est dans cette optique que le groupe musical des « Badlabecques » (autrement dit, en jerriais : les bavards) a été créé par Montfort Tadier.

Pour découvrir les Badlabecques:

https://www.youtube.com/watch?v=X28sYhPBY-A

 

 

 

Jean-Pierre MONTREUIL, professeur émérite en dialectologie romane dans les universités américaines

 

Pour une intervention très stimulante et très appréciée de ce professeur et auteur normand originaire du Nord-Cotentin qui a fait une belle carrière universitaire aux Etats-Unis (Harvard et Austin) : on espère que cette personnalitééminente aura toute sa place dans la définition de la future politique régionale pour la langue normande.

 

Les étudiants américains ont montré une grande curiosité intellectuelle pour la dialectologie romane et tout particulièrement celle traitant le normand car, bien évidemment, il s’agit d’explorer les origines normandes de l’anglais moderne. Jean-Pierre Montreuil propose une vision moins statique et moins centrée sur le patrimoine dialectal en l’état que celle proposée par le professeur Lainé : « il faut, de toute urgence, développer la littérature, toute la littérature en normand pour exploiter toutes les possibilités de la langue ».  

 

Il y a un préjugé dont il faut se défaire : les langues régionales seraient enfermées dans leurs idiosyncrasies, moins universalistes, trop rurales ou populaires… On peut pourtant tout dire avec les mots du normand mais d’une façon bien différente du français contemporain : pour le dire plus abruptement, la littérature normande pencherait plus du côté de Rabelais que de Butor. Il faut traiter le normand comme s’il s’agissait d’une vraie langue et arrêter de s’excuser quand on l’utilise à des fins littéraires. A condition de sortir de la nostalgie et des clichés : une littérature normande contemporaine existe avec hardiesse. On peut aussi traduire les auteurs contemporains français en normand  et éviter une standardisation lexicale ou orthographique artificielle du normand sous prétexte de le sauver.

 

Fernand Lechanteur avait déjà repéré le problème quand il disait préférer l’authenticité et la fraîcheur de la poésie de Marie Ravenel qui s’exprime en français mais dans un contexte social et culturel patoisant à la poésie artificielle et ampoulée d’un Alfred Rossel qui fait l’effort d’écrire en normand pour l’offrir en curiosité exotique et ethnologique au public français des élites cherbourgeoises…

 

Le cœur de la langue est dans l’oralité, l’écrit n’en est que la conséquence : il faut gérer la distance entre l’oral et l’écrit et ce problème se pose aujourd’hui tout particulièrement au français normé scolaire. Le recours au patrimoine linguistique francophone régional peut contribuer à mieux faire comprendre le français dans son enseignement à l’école.

Gaïd Evenou prend, à nouveau, la parole:

Il y a nécessité de créer toujours du nouveau dans une langue. La langue est la mère de la pensée pas sa fille. Il faut préserver les variantes dialectales quand bien même il faille une standardisation de la langue pour sa transmission écrite, notamment à l'école. Il faut arriver à articuler les deux et c'est difficile: on a vu le cas breton où le breton ré-appris à l'école ne correspondait pas à celui qui était encore parlé par les grands-parents.

Réactions de la salle

Fabien LECUYER, responsable associatif breton militant pour la reconnaissance du Gallo:

Si vous suivez Monsieur Montreuil vous aurez tout bon! En revanche, si vous écoutez Monsieur Lainé, vous allez vous planter! Il faudrait renouveler l'information: on n'en est plus à la fin des années 1970 avec ce "breton chimique" enseignéà l'école Diwan et que les anciens ne comprenaient pas. On a rectifié le tir depuis et on s'adapte à la variation dialectale locale du Breton. Mais cette variation dialectale notamment orale peut s'appuyer sur une langue écrite unifiée. On rappelera enfin qu'il existe deux langues régionales bretonnes: le breton proprement dit en Basse-Bretagne et la langue gallèse en Haute-Bretagne (Ille-et-Vilaine et Loire-atlantique).

Jean-Pierre RENARD déplore, une fois de plus, le fait que Ouest-France, journal breton fabriquéà Rennes n'a proposé aucun article pour annoncer et présenter ce colloque fondateur sur la langue normande dans son édition du 19 janvier 2019contrairement à Paris-Normandie qui avait l'avait annoncé dans son édition de la veille avec un entretien avec Stéphane Lainé. Et de constater, une fois encore, le peu de curiosité intellectuelle des grands médias régionaux en Normandie (presse quotidienne et télévision) pour la culture régionale la plus identitaire, au premier chef, la langue régionale.

De quoi ont-ils peur? Il leur faut surtout la preuve que les autorités institutionnelles légitimes régionales, à commencer par le conseil régional de Normandie prennent cette affaire au sérieux: c'est désormais le cas et on a vu, à la fin du colloque, un micro de France 3 Normandie devant le président Morin.

Hervé Morin réagit:

"J'ai déjà pu contribuer au sauvetage financier du groupe de presse Paris-Normandie repris par un entrepreneur normand (ndlr: Jean-Louis Louvel, le "roi de la palette") et sauver ainsi la diversité dans le paysage médiatique normand.Ouest-France a essayé de s'implanter à Rouen mais cela a été un échec (ndlr: tant mieux!) et Paris-Normandie a du mal àêtre diffuséà Caen" (ndlr: en raison de l'obstruction de Ouest-France). Et Morin d'assurer: "les habitudes des lectorats sont tellement ancrés que c'est très difficile d'imaginer l'existence d'un grand quotidien régional normand version papier sur toute la Normandie. En revanche sur Internet les choses bougent." (Ndlr: le lectorat papier est un public vieillissant qui ne se renouvèle pas. A terme, Ouest-France et PN version papier sous sa forme actuelle sont condamnés. Ce qui fait la différence, c'est l'attractivité du site Internet: celui de Paris-Normandie est plus sympathique et pro-normand que celui de Ouest-France où l'onglet "Normandie" a le tort de ne pas être celui de la Bretagne...)

Clémence LEBRUN, étudiante infirmière passée par la classe normande du collège de Bricquebec lit un texte de l'auteur patoisant Jean-Pierre Bourdon:

"Les quat' cats"

Chaudement applaudie par la salle, l'animateur du colloque lui demande pourquoi elle s'est intéressée au normand. Réponse: "c'est la langue que m'a transmise mon grand-père et aussi parce que connaître le normand, ça peut aider en EPHAD".

Yvon DAVY, président fondateur de l'association la LOURE:

Il commence son propos en rappelant qu'il est un gars au Sud de la ligne Joret, natif de Briouze dans l'Orne. Depuis de nombreuses années, la Loure s'est donnée pour mission de recueillir les traditions orales populaires normandes les plus authentiques et les plus anciennes possibles, notamment ce vieux fond de chansons francophones que l'on retrouve en Normandie comme dans d'autres provinces françaises et qui a voyagé jusqu'au Québec. Yvon Davy avoue que les questions linguistiques ne sont pas au coeur de son travail qui est plus celui d'un ethno-musicologue mais qu'il y prête désormais plus d'attention car il y a réellement un danger de disparition totale de la pratique linguistique compte tenu de l'âge moyen des locuteurs actuels: il faut donc intensifier le travail de collectage. Pour Yvon, le terme de "patois" n'est pas connoté négativement d'autant plus qu'il est employé par les locuteurs eux-mêmes qui se définissent comme "patoisants".

Dans ses recherches dans toute la Normandie, du Cotentin et de l'Avranchin au Pays de Caux, la Loure s'est aperçue qu'il y avait finalement assez pu de vieilles chansons en patois normand contrairement aux vieilles chansons françaises. Les chansons en normand sont, paradoxalement, plus récentes: elles remontent souvent au XIXe siècle et la montée en puissance de l'idée régionaliste normande: la chanson d'Alfred Rossel "Su la mé" qui est devenue l'hymne du Cotentin en est le type même!

Le parler normand est très varié et il faut veiller à cette diversité culturelle et populaire présente dans toute la Normandie. Il faut aussi s'intéresser, avant qu'il ne soit trop tard, au collectage des habitudes, manières et savoir-faire d'une vieille civilisation rurale, artisanale, ouvrière ou agricole qui est en train de disparaître sous nos yeux. D'où le projet de la Loure d'observer une pratique culturelle particulière dans une aire géographique précise: par exemple, l'art d'entrenir le bocage et ses talus (en normand, on dit "fossés") dans le Val de Sée (Avranchin).

La question linguistique s'invite régulièrement dans le travail d'enquête et c'est vrai que nous avons du retard par rapport à d'autres régions. La Loure n'a pas attendue la réunification pour embrasser de son regard ethnolographique la "grande Normandie", des îles anglo-normandes au Pays de Caux tout en constatant que la chanson des gens de terre et des gens de mer était souvent la base du patrimoine oral normand.

Pour valoriser ce patrimoine de chansons, la Loure a créé le groupe musical "Lihou" pour mettre en valeur le patrimoine chanté des îles et du Cotentin avec un Normand, une Bretonne, un Guernesiais et un Jersiais...

Bien entendu, il faut écrire et parler le plus possible dans tous les parlers normands existants: la Normandie est diverse et ce qui fait toute sa richesse, du Cotentin au Pays de Caux en passant par l'Avranchin sans oublier "les gars du Sud". Mais il y a urgence à finir les enquêtes et les collectages avant que ne meurent les derniers locuteurs.

Pascal GRANGE, association de La Chouque, vallée de la Risle:

 

 L'association "La Chouque" est née en 2008 suite à l'organisation d'une journée normande à Montfort-sur-Risle dans le but de collecter et de valoriser les usages linguistiques et culturels normands dans la vallée de la Risle. La Chouque collabore régulièrement avec la fédération des jeux et sports traditionnels normands car dans son enfance, Pascal Grange se souvient d'avoir pratiqué le jeu de "butte" avec son grand-père. Un championnat de Normandie de Choule-crosse est régulièrement organisé avec cinq équipes engagées venant de toute la Normandie. Gilles Mauger qui dirige aussi les éditions "Le Pucheux" propose chaque semaine dans l'Eveil de Pont-Audemer une chronique tout en normand très appréciée...

Maurice FICHET, association de l'EMAI (nom normand de la table du pressoir) qui propose des cours du soir de langue normande à Caen, maison de quartier de la Folie- Couvrechef:

Le gros chantier qui vient de s'achever était de faire paraître le "Trésor de la langue normande", un grand dictionnaire normand/français à double entrée comportant jusqu'à 40000 mots après sept années de travail. Ce fut un gros succès de librairie. Une nouvelle édition revue et augmentée va bientôt paraître. Le conseil régional de Normandie a aussi acheté un certain nombre d'exemplaires pour équiper les CDI de tous les lycées de la région.

Il faut rester optimiste même si la situation du normand reste difficile: la création littéraire contemporaine en langue normande est en pleine croissance. Rien que pour le seul Cotentin, on a recensé 107 auteurs patoisants décédés avant 1990 sans compter les auteurs contemporains encore vivants ou les plus jeunes qui s'y mettent... Citons Georges Métivier, Joseph Mague, Charles Lemaître, Louis Beuve, Fernand Lechanteur, Côtis-Capel, André Louis, André Dupont alias "Desnouettes" auteur d'une "épopée cotentine" pour les grands maîtres disparus mais aussi le grand poète Marcel Dalarun décédé en février 2016. Jehan Le Pôvremoyne (mort en 1970) ou le Père Bernard Alexandre (mort en 1990) ont marqué les lettres cauchoises. Mais nous avons encore Bernard Desgrippes, le conteur du Domfrontais avec plus de mille chroniques à son actif (publiées dans le Publicateur Libre) ou Jean-Pierre Montreuil qui nous propose des romans contemporains dans la langue normande du Cotentin. Dernier titre paru: "Le goupillot" aux éditions Magène en 2018.

Maurice Fichet rappelle l'importance d'une littérature exigeante en langue normande qui peut tout exprimer: il existe 48 mots normands pour évoquer la pluie et... 233 mots différents pour évoquer les femmes!

Le rêve de Maurice Fichet: avoir trois minutes quotidiennes de langue normande sur France 3 Normandie, soit l'équivalent d'un spot de pub!

Marie-Claire LECOFFRE présente une activité de restitution du travail réalisé par la classe option normand du collège de Bricquebec sous la forme de petites scènes de la vie quotidienne en langue normande. Professeure d'allemand, elle avoue enseigner le normand parlé par sa grand-mère. Les élèves apprécient cette option qui leur permettent de communiquer avec leurs grands-parents. Une élève d'origine turque (la communauté turque est importante dans le Nord-Cotentin en raison des grands chantiers nucléaires) a récemment demandéà apprendre le normand pour mieux communiquer avec ses camarades de classe.

Réactions de la salle

Une représentante de l'Université rurale cauchoise signale la présence dans la salle des Cauchois et regrette qu'elle n'ait pas été invitée à participer à la table ronde.

L'animateur lui fait savoir qu'il y aura très vite une autre réunion publique sur la langue normande à laquelle les Cauchois seront pleinement associés.

Hervé Morin réagit en constatant qu'il y a plus de curiosité pour le patrimoine linguistique normand de ce côté-ci de la Normandie que du côté de Rouen. Avouons que ce fut là le seul petit couac finalement inutile dans une rencontre qui a satisfait tout le monde. En effet, les associations cauchoises sont très actives et très vivantes... dans le Pays de Caux. Quant à Rouen, effectivement...

Le maire de la nouvelle commune du "Val-de-Saire" lui-même patoisant insiste sur l'importance des accents dans la prononciation du normand: il y a, par exemple, quinze façons de dire "Quettehou". Et de préciser que l'accent des Révillais est "déplorable"! (rires dans la salle).

Michel GAUTIER de l'association de défense des langue d'oïl et, lui-même, locuteur du poitevin-saintongeais prend la parole avec fermeté pour réclamer de la part de l'Etat et des institutions, notamment médiatiques, la reconnaissance de toutes les langues d'oïl, dont le normand. Il déplore le deux poids, deux mesures qui règne en la matière en prenant à partie Gaïd Evenou de la DGLFLF: "seul le gallo associéà la Bretagne a obtenu quelque chose..." Bien évidemment!

Ce monsieur étant derrière moi, je lui ai conseillé d'enfiler un gilet-jaune ou de brûler une sous-préfecture avec un bonnet rouge sur la tête pour être enfin pris au sérieux par l'Etat central jacobino-parisien!

Pour finir, les élèves de la classe normande de Mme Lecoffre ont chanté une "caunchounette" mise en musique par le groupe Magène: "la foire de Saint Anne".

CONCLUSION DU COLLOQUE

Hervé MORIN, président de la Normandie

Nous vivons un moment historique et constitutif. Suite à un rapport commandéà la Fale sur l'état de la langue normande, le moment est venu d'agir. C'est urgent. On aurait pu agir plus tôt mais les trois dernières années ont été consacrées à la construction de la nouvelle région dans le cadre de notre Normandie enfin réunifiée.

Edouard de Lamaze sera l'élu référent au conseil régional d'une toute nouvelle politique publique régionale consacrée à la défense et valorisation du patrimoine linguistique normand.

Hervé Morin salue la venue à Caen de Gaïd Evenou du Ministère de la Culture "qui va nous financer tout ça depuis Paris", note aussi la présence dans la salle de Monsieur Ollivier, le DRAC de Normandie (qui n'a fait aucune déclaration publique au cours de ce colloque de reconnaissance officielle de la langue normande) ainsi que celle de Jonathan Le Tocq le ministre des affaires étrangères de Guernesey dont la présence le touche beaucoup:"je suis très sensible à votre présence". L'émotion était palpable en effet: "j'ai retrouvé ce matin les mots que me disait mon grand-père".

Mais le sujet est difficile pour un président de région car il faut affronter ceux qui vont vous dire que la langue normande n'existe pas pour mieux vous reprocher d'exciter un régionalisme identitaire. Le sujet est passionant, passionnel. Comment faire? "Je suis intuitif", déclare Hervé Morin et "Edouard, tu vas t'en occuper!"

Mais avant de dérouler la feuille de route et ses annonces, le président normand fait le constat du lourd, très lourd passif de la division normande car c'est dans ce domaine du patrimoine immatériel linguistique identitaire de la Normandie que ce passif se voit le plus!

Hervé Morin:"On paie très cher la division normande. On le paie en influence, on le paie en terme d'enracinement, en terme de fierté régionale. Les deux mini-régions, c'était vraiment minable. Pendant des années, on nous a dit que c'était impossible. On paie cette division sur notre culture, notre rayonnement et notre identité. Il faut rebâtir désormais notre fierté d'être Normand".

Hervé Morin: "Il faut arrêter de s'autodénigrer. Il faut se désinhiber. Quand on est fier de sa région, tout devient plus facile. Il faut que les Normands le sachent, il se fait des choses formidables dans cette région. Les Normands ne le savent pas assez! C'est la raison pour laquelle on va fêter l'excellence normande en avril 2019. La Normandie est phénoménale, il faut le faire savoir! Nous avons ici les deux plus grands metteurs en scène de théâtre de France: Thomas Joly et David Bobée. Nous avons ici le second plus grand fonds d'archives sur la littérature français avec l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne. Nous avons l'un des plus grands généticiens du monde au  CHU de Rouen. Ici à Caen nous avons le GANIL et le traitement du cancer par ionisation. Nous avons 200 entreprises normandes qui sont dans la recherche de pointe au niveau mondial. Ras-le-bol de la carte postale normande raccornie! Chaque semaine, je découvre dans un coin de la Normandie un savoir-faire extraordinaire! Cette Normandie phénoménale, on ne la porte pas assez! Certes, il faut être lucide sur nos faiblesses mais il ne faut pas oublier qu'il nous faut être surtout les ambassadeurs de l'excellence normande. Soyons donc fiers de notre culture régionale: le patrimoine de la Normandie médiévale bien évidemment (cluster Normandie médiévale) mais pas seulement."

Hervé Morin:"La valorisation du patrimoine linguistique normand, ce n'est pas de la nostalgie. C'est, au contraire, un facteur de rayonnement et d'universalité. Il faut sortir de cette opposition stérile entre le jacobinisme et le régionalisme. En 1969, De Gaulle avait déjà tout compris à l'occasion de son référendum sur la régionalisation qui n'aurait pas dûêtre mélangéà une question politicienne sur la réforme du Sénat. Il faut libérer la diversité française et dans son maître livre "l'identité de la France", Fernand Braudel nous enseigne qu'il y a une dialectique entre l'unité nationale et la diversité régionale: c'est la position girondine que je défends et que je retrouve en partie dans certaines revendications des Gilets Jaunes. La langue normande fait partie des richesses de la Normandie donc de la France. On s'inquiète à juste titre de la perte de la biodiversité. On devrait s'inquiéter tout autant de la disparition de la diversité culturelle et linguistique! La langue normande fait partie du patrimoine de l'Humanité. Il faut sauver les parlers normands. Ils sont moribonds? Ah bon? On va vous aider à sauver l'héritage culturel normand et contribuer à lui donner une nouvelle vie."

Hervé Morin détaille ensuite les éléments d'une nouvelle politique régionale pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine linguistique normand:

1) URGENCE: sauver et préserver un patrimoine immatériel en péril. Il faut achever et intensifier le travail de collectage et de numérisation des données. Créer l'atlas sonore de la Normandie linguistique dans le cadre de l'actuelle fabrique des Patrimoines. Financer un programme de recherches universitaires sur la langue normande. Budget prévu: 800000€

2) UN ESPACE COMMUN DE REFLEXION: une "académie de la langue normande". Il faut mettre tous les acteurs la question linguistique normande autour de la table avec deux congrès annuels, l'une au printemps, l'autre à l'automne pour faire le point sur les actions, leurs résultats et les urgences. Il faut associer les îles anglo-normandes à cette académie de la langue normande. A terme, il faudrait un collège d'autorités pour définir quoi faire concrètement: quel oralité et quel écrits transmettre? Comment "normandiser" les lieux publics? Il faut un référentiel validé par une autorité scientifique.

3) FAIRE ENTRER LE NORMAND A L'ECOLE: une convention entre le Conseil Régional et le Rectorat de la future académie normande de Caen sera nécessaire pour que l'on puisse, dans un premier temps, avoir un collège et un lycée avec option "normand" dans chaque département normand. Pour l'initiation au normand dans les écoles élémentaires, il faudra s'appuyer sur les intercommunalités les plus intéressées (on pense, bien entendu, au Cotentin et au Pays de Caux).

 

 Hervé Morin nous confie, en outre, qu'il a vu de près ce qui se faisait en Corse car bâtir une politique linguistique régionale, même en Corse ne fut pas une mince affaire pour la bonne et simple raison que s'il y a une politique publique à co-construire avec les citoyens et les usagers c'est, bel et bien, une politique linguistique.

En Corse, la politique linguistique est co-pilotée avec les associations culturelles qui pratiquent un modèle mi-ludique, mi-pédagogique qui assure l'attractivité de la langue corse auprès des jeunes.

C'est précisément ce qu'il faut faire en Normandie, notamment avec la promotion d'une scène des musiques actuelles d'expression normande: Tatihou n'étant pas une île... bretonne! (c'est nous qui ajoutons!)


Présentation des intervenants aux deux tables rondes de la matinée proposée dans le livret officiel qui a été remis à toutes les personnes présentes à l'auditorium.

Deux précisions:

  • Montfort Tadier n'a pas pu venir de Jersey en raison d'un problème de liaison... maritime avec la Normandie même en passant par... Saint-Malo! Il serait temps de faire quelque chose pour avoir une ligne maritime normande "robuste" avec nos cousins des îles, par exemple, au départ de Cherbourg et de Granville!
  • Nos amis cauchois de l'université rurale du Pays de Caux ont été conviés au colloque de ce matin mais pour des raisons d'organisation que j'ignore, ils n'ont pas été intégrés aux tables rondes prévues. C'est dommage car le cauchois reste très vivant de part un réseau d'associations très actives au point que le manuel de présentation du CHU Charles Nicolle de Rouen a été traduit en... cauchois.

 

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