JACOBINISME COMPTABLE...
L'Etoile de Normandie a pu se procurer le document officiel qui détaille le programme de réformes de la présence de l'Etat "déconcentré" en région (sic!) par la préfète de Normandie, Madame Fabienne BUCCIO.
Cet exercice entre dans le cadre du plan national de réforme de l'Etat annoncéà la suite de la publication en juillet 2018 du rapport du comité inter-ministériel"Action publique 2022". On se souvient que l'intégralité de ce rapport qui devait rester secret un certain temps avait été dévoilé par une source syndicale qui ne faisait pas mystère de la principale raison de cette nouvelle réforme de la fonction publique d'Etat: faire 30 milliards d'économies d'ici 2022 afin de tenir durablement l'objectif maastrichien de contenir le déficit public sous la barre des 3% en valeur de PIB.
Les lecteurs de l'Etoile de Normandie peuvent d'ailleurs consulter ce rapport mis en ligne depuis plusieurs mois sur la page d'accueil du webzine:
Cependant, par delà cet objectif purement comptable, la lecture des propositions de Mme la préfète pour la Normandie nous renforce dans notre conviction que la consigne est clairement donnée depuis le plus haut sommet de l'Etat de stopper le grand mouvement de décentralisation des compétences et des finances publiques de l'Etat central vers les collectivités territoriales.
Il s'agit, désormais, d'opérer un mouvement inverse de reconcentration de l'Etat non pas en sa tête parisienne mais au niveau des deux échelons de sa présence sur les territoires à partir du réseau des préfectures régionales et départementales. Le préfet de région qui, depuis une réforme proposée par Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur de François Hollande, est devenu non plus seulement le représentant de l'Etat en région mais, plus précisément, le représentant du Premier ministre sur les territoires, va devenir le chef d'orchestre d'une déconcentration de l'Etat central au niveau régional et au niveau départemental quitte à remodeler les directions régionales ou départementales spécialisées concernées selon une logique de rationalisation coûts/bénéfices directement issue du management des entreprises privées avec, par exemple, la suppression utile de certains doublons internes entre l'échelon central parisien et l'échelon déconcentré territorial de l'Etat mais au prix, hélas, d'une autre conséquence:
Le renforcement de l'effet doublon entre cette présence renforcée de l'Etat sur le territoire et la collectivité territoriale correspondante, à savoir le conseil départemental, d'une part, sur les questions sociales et le conseil régional, d'autre part, sur les questions de développement économique ou d'aménagement du territoire.
Ce bel exercice de jacobinisme comptable, se fait au mépris des réalités normandes à commencer par la mise en oeuvre, non sans succès, d'une action régionale normande par le conseil régional de Normandie. Prenons deux exemples assez essentiels:
- La proposition n°2 concernant la réorganisation de la DIRRECTE (pôle 3E) ne tient pas compte de la présence de l'Agence de Développement de Normandie (ADN) et encore moins de sa stratégie d'intelligence territoriale déployée depuis trois ans maintentant: ce que Madame Buccio espère faire avec sa DIRRECTE ainsi réformée, Monsieur Hervé Morin, avec son crochet normand, le fait déjà... Effet doublon garanti! Bonjour l'inefficacité: l'Etat au tapis! Surtout lorsqu'on apprend, sans rire, que les "consulaires" si malmenés dans leurs finances par Messieurs les Raboteurs de Bercy devront rester "dans le giron de l'Etat": doit-on parler de maltraitance institutionnelle?
- La proposition n°7 concernant la gestion des Fonds européens consacrés à l'Agriculture méprise frontalement l'une des spécificités normandes les plus essentiellesà savoir qu'une grande région agro-alimentaire comme la Normandie pouvait exercer, via son conseil régional, une certaine autonomie de gestion des fonds européens dédiés à la politique agricole commune: affirmer que l'Etat doit être l'unique autorité de gestion des fonds FEADER est irréaliste puisqu'elle pourrait susciter une désorganisation administrative chronophage qui pourrait nous exposer au risque de "dégagement" vis-à-vis des autorités de l'Union européenne tout en supprimant la possibilité de mener une politique agricole régionale authentique: on s'en prend ainsi à l'identité même de la Normandie!
A la lecture lancinante de ces 96 propositions on ne trouvera que bien peu de propositions qui pourraient enfin tenir compte d'une spécificité normandeau delà de la"déclinaison locale du modèle national" (sic!):
Ainsi, la 23ème proposition admet que la nouvelle DIRRECTE va devoir se retirer de la compétence du développement économique qui est au coeur des activités du conseil régional (c'est la moindre des choses) tout comme il faut bien faire le constat que le pilotage d'un Comité régional du tourisme normand est plus pertinent depuis le Conseil régional que depuis un sous-bureau de la DIRRECTE
De même, la 86ème proposition admet qu'il faut bien faire quelque chose pour ce territoire "SEVESO-NORMAND" (la formule est de nous...) spécialisé dans la production énergétique en concédant la possibilité de délocaliser en Normandie le bureau national "Energies" de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances. De même, la 96ème et dernière proposition admet qu'il faille faire du Havrela tour de contrôle post-Brexitpour les services de l'Etat en Normandie.
C'est bien peu et cela nous renvoie à la vision toujours aussi pauvre en imaginaire comme en contenu de la haute fonction publique de l'Etat central surla Normandie: "les raffineries sans les raffinements", pour reprendre la formule ironique du philosophe normand Michel Onfray.
C'est ainsi qu'on s'interrogera sur cette allusion figurant dans la proposition n° 38 relative au renforcement du rôle de la DRAC au sujet d'une éventuelle délégation des missions de l'Etaten matière d'ethnologie (sic!):
S'agit-il d'améliorer l'étude scientifique des ploucs normands que nous sommes?
Moralité: Les Normands ont plus que jamais intérêt à s'occuper de leurs affaires car on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même!