À la sortie de la messe, l’émotion est palpable. Hier matin, près de 200 personnes - moins que lors des commémorations de l’an dernier - se sont recueillies en l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray pour rendre hommage au père Jacques Hamel. C’est au sein même de cet édifice que l’homme de foi a été assassiné par deux terroristes, à l’âge de 86 ans, le 26 juillet 2016.
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Hier à 8 h 30, l’église a commencéà se remplir à l’arrivée de la procession de paroissiens qui « sur proposition de l’équipe pastorale » se sont rendus « en silence, depuis la maison du père Hamel jusqu’à l’église. Comme le souligne sœur Danièle [l’une des trois sœurs présentes dans l’église au moment de l’attaque, N.D.L.R.], c’est le chemin que Jacques a fait, qu’il faisait chaque jour. C’est aussi l’occasion de nous préparer à cette journée de souvenir », a indiqué Mgr Dominique Lebrun. L’archevêque de Rouen a célébré la messe qui a débutéà 9 h. Les commémorations se sont ensuite poursuivies par une cérémonie « pour la paix et la fraternité », organisée par la Ville de Saint-Étienne-du-Rouvray, devant la stèle érigée sur le côté de l’église.
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« Il ne faut pas oublier »
Celle-ci avait été inaugurée l’an dernier, lors du premier anniversaire de l’assassinat du père Hamel, en présence du président de la République, Emmanuel Macron. Et en présence de davantage de personnes. Cette année, la foule était en effet moins dense. Ce que regrettent certains habitants présents hier matin. « Même si l’émotion est moins vive, il ne faut pas oublier », estime Patrick Messe. Ce Stéphanais, athée, tenait àêtre présent pour cette raison. « Ici, tout le monde connaissait le père Hamel », précise-t-il. Patrick Messe regrette aussi « qu’il n’y ait pas une délégation de représentants de la communauté musulmane afin de dire qu’ils continuent à lutter contre ces extrêmes ». Des personnes membres de la communauté musulmane étaient présentes dans le public.
« C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de monde. Pourtant comme on dit, les années passent et le souvenir reste », ajoute Jean Vion, qui lui aussi, comme nombre de Stéphanais, croisait régulièrement le père Hamel. Ce dernier a laissé un souvenir marquant à beaucoup. Comme àFrançois Ropert, quine vit pourtant pas à Saint-Étienne-du-Rouvray. Mais il a déjà séjourné dans la commune et a eu l’occasion d’assister à plusieurs messes du père Hamel : « Il avait une personnalité bien trempée. C’est quelqu’un qui vous laisse forcément un souvenir. J’ai trouvé que la messe célébrée aujourd’hui était simple, elle correspondait au style du père Hamel. »
Elle non plus n’est pas de Saint-Étienne-du-Rouvray : Michelle Boutigny est venue en voisine hier matin. Pour cette habitante de Sotteville-lès-Rouen, il était « important de venir par solidarité. Nous sommes tous concernés par les attentats, croyants ou pas. Il faut être présent, se réunir pour montrer la fraternité qui existe ».
Deux ans après, l’atrocité des faits marque toujours autant les mémoires. « C’est toujours affreux et inadmissible », souffle Annette De Arujo. Cette Stéphanaise qui vit ici depuis cinquante ans connaissait « très bien le père Hamel ». Hier, elle est venue saluer sa mémoire : « C’était quelqu’un de bien. Tout le monde n’est pas comme ça ».
« Depuis deux ans, mon cœur est en deuil », souffle Moréno Micolin, à la sortie de la messe. Ce Stéphanais assure être « dans tous mes états une semaine avant l’anniversaire de l’assassinat de Jacques Hamel, et une semaine après. Je ne l’oublie pas. Et je n’oublie pas non plus ceux qui étaient dans l’église à ses côtés ». D’ailleurs Guy Coponet, l’un des paroissiens blessé lors de l’attentat était aux commémorations hier. Deux ans après, Guy Coponet avoue avoir encore du mal à pardonner aux terroristes. « Chaque fois que je viens à l’église, je pleure. Le père Hamel était un père simple et modeste, dévouéà son église. J’espère vraiment qu’il sera béatifié. »
Mais quelle que soit l’issue du procès en béatification, nul doute que les fidèles, habitants ou personnes ayant croisé le chemin de père Hamel, continueront à faire vivre sa mémoire.
L’attentat adapté au théâtre
Ancien directeur du Centre dramatique national (CDN) de Montpellier, le dramaturge Jean-Marie Besset a écrit une pièce sur l’attentat terroriste de Saint-Etienne-du-Rouvray. Cette pièce, « Temple » sera jouée les 27 et 29 juillet au cloître de l’abbaye de Saint-Hilaire à Limoux dans l’Aude dans le cadre du festival Nava. L’auteur a enquêté sur la personnalité des deux terroristes pour comprendre « l’énigme du mal », dixit l’homme du théâtre au Midi Libre. Il s’est concentré sur le Stéphanais Adel Kermiche, jugeant qu’Abdel-Malick Petitjean est « un complice de dernière heure recruté sur Internet. »
Une messe hommage à« l’homme de miséricorde »
Après une courte marche silencieuse, les fidèles emmenés par Mgr Dominique Lebrun ont pénétré en silence dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray. Contrairement à l’an dernier, il restait des places dans la petite église au plafond de bois en coque de bateau retournée. La ministre auprès du ministre de l’Intérieur, Jacqueline Gourault, a été accueillie par la préfète Nicole Buccio et est allée rejoindre, après avoir salué la famille du père Jacques Hamel et les victimes, les bancs des élus, autorités et personnalités. Dans son homélie, Mgr Lebrun a rendu hommage au père Hamel,
« homme de miséricorde », qui fait
« sans doute partie de ces ancêtres qui sont bel et bien devenus, sans qu’ils l’aient cherché le moins du monde, des hommes glorieux ». Il
« transmettait, par son exemple, l’image d’un serviteur fidèle et discret au milieu de sa famille, au milieu de sa paroisse, au milieu de cette ville de Saint-Étienne-du-Rouvray ». Juste avant la fin de la messe, l’archevêque a parlé d’une voix plus lente.
« Il y a deux ans précisément, le père Hamel a suivi son habitude en allant se recueillir, quelques instants avant la bénédiction, sur un banc. C’est à ce moment précis que la tragédie s’est produite. Nous ne pouvons pas oublier. »À l’issue de la cérémonie, l’archevêque de Rouen, notamment entouré du
curé de la paroisse Saint-Étienne, a confié quelques éléments concernant la demande de béatification du père Jacques Hamel : «
Nous avons compulsé 500 homélies courtes, soignées, une cinquantaine de témoignages ont été recueillis, il en reste entre 10 et 15. Puis le dossier sera examiné et analysé par les théologiens en début d’année prochaine. Nous pourrions peut-être apporter à Rome le dossier en mars ou avril 2019. La décision, ensuite, ajoute l’archevêque
, ne dépend pas de nous, mais de l’administration papale ». Quant à la pérennisation de l’hommage fait au prêtre assassiné il y a deux ans, difficile de prédire l’avenir mais, comme l’auront remarqué les présents, l’assistance s’est grandement raréfiée.
« Des messes le 26 juillet, il y en a toujours eues. Il y en a eues avant la tragédie, il y en aura après », livre Mgr Lebrun. L’hommage sera sans doute moins officiel, mais il perdurera chez les paroissiens stéphanais.
« Être plus forts après qu’avant »
Devant la stèle de commémoration inaugurée l’an dernier par le président de la République Emmanuel Macron - et sur laquelle est inscrite la Déclaration des droits de l’Homme - les anonymes ont rejoint après la messe les élus et les autorités civiles et militaires. Sous un soleil de plomb.
« Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions, où nous étions il y a deux ans, jour pour jour. »Maire de Saint-Étienne-du-Rouvray, Joachim Moyse a lancé, hier, un vibrant appel à« l’œuvre de mémoire, nécessaire dans tous les endroits où des événements tragiques se produisent. Le fanatisme et la barbarie ont tué Jacques Hamel. Devant les risques d’appropriation malsaine de ces faits, il nous faut sans cesse nous réinterroger sur les conditions nécessaires au bien vivre ensemble : la paix, le respect de la vie, la fraternité, la connaissance de l’autre et l’éducation... ».
« La menace terroriste
reste élevée »
Alors que les bénévoles distribuent des verres d’eau à l’assistance, le député PCF Hubert Wulfranc appelle lui aussi l’assemblée à« poursuivre notre réflexion sur la fragilité du monde, et des hommes et des femmes que nous sommes. Des fragilités qui ont pour nom les discriminations, l’isolationnisme, le repli identitaire, l’illettrisme, la difficulté d’être soi, d’être en paix avec soi-même. » Pour l’ancien maire de Saint-Étienne-du-Rouvray, « ces fragilités, il nous faut les prévenir, les combattre, dans notre rôle social, mais également dans les relations humaines au quotidien ». Il ajoute, après un instant de silence : « Pour être plus forts après qu’avant ».
La ministre auprès du ministre de l’Intérieur, Jacqueline Gourault a rappelé que « la menace terroriste reste, à ce jour, très élevée » et assuré que « la détermination du gouvernement est totale pour la combattre ». Elle précise que « depuis l’insurrection en Syrie en 2013, 55 attentats ont été déjoués en France ». Sur le dossier particulier de l’attentat qui a coûté la vie au père Jacques Hamel, « l’enquête se poursuit. La police judiciaire, la DGSI... traquent sans relâche les proches des deux terroristes morts qui pourraient leur être venus en aide ».
En présence de représentants de la communauté protestante et de membres de la communauté musulmane, Mgr Lebrun s’est dit « plus sensible depuis deux ans aux attentats perpétrés dans notre monde. »Avant d’égrener la longue liste des pays dans lesquels des attentats ont été perpétrés, l’archevêque a souligné que 25 prêtres ont été assassinés depuis l’an dernier. « L’assassinat du père Hamel nous a permis d’ouvrir les yeux sur la présence proche du radicalisme religieux. » Et si de nombreuses personnes ont été arrêtées et emprisonnées, « elles vont sortir, car on ne passe pas sa vie en prison. Comment seront-elles accueillies, aidées, éclairées, et par qui ? »