Coup de coeur Etoile de Normandie!
Landry Lefort, un jeune éditeur de Caen qui vient de créer sa propre affaire sous l'égide très inspirée de "l'Athènes normande", le surnom donnéà la ville de Caen, aux XVIIe et XVIIIe siècles, en raison de la présence ancienne de l'université et de la notoriété de l'académie, alors l'une de toutes premières de province, a décidé de se lancer dans un pari fou: la réédition complète de la "Statistique monumentale du Calvados", encyclopédie fondatrice en France des études archéologiques et monumentales pour le Moyen-âge livrée dans les années 1840 par Arcisse de Caumont, le grand érudit normand à qui l'on doit notre idée contemporaine de Monument Historique et de patrimoine archéologique et monumental à préserver et à valoriser.
Ce chef-d'oeuvre d'érudition tout comme l'action militante d'Arcisse de Caumont, pionnier de la décentralisation régionale,a joué un grand rôle dans la redéfinition de l'idée normande elle-même: grâce à lui ainsi qu'à beaucoup d'autres, la Normandie devient LA région-province patrimoniale à partir de laquelle il est possible de contempler, d'admirer mais aussi d'étudier scientifiquement l'Histoire de la France au point que dès le XIXe siècle, la Normandie devient une destination privilégiée du tourisme culturel en France mais aussi en Europe notamment pour les Anglais qui viennent chez nous admirer la Normandie considérée comme un musée à ciel ouvert des origines de la civilisation britannique.
Cette approche érudite, raisonnée sinon scientifique du patrimoine archéologique, historique, artistique et culturel de la Normandie fut déterminante pour l'appréhension même de l'identité régionale normande: au lieu de sombrer dans une mythomanie des origines à des fins séparatistes dans une confusion entre régionalisme et nationalisme, les Normands ont su garder la tête froide et faire de leur Normandie autant un sujet de fierté et d'amiration qu'un sujet d'études parfois, souvent, critique.
Cette approche très intellectuelle, une approche d'"antiquaire" (pour reprendre la manière de parler de l'époque d'Arcisse de Caumont), a comme toutes les approches, les défaut de ses qualités (ou l'inverse): cette approche peut, en effet, apparaître, quelque peu élitiste et exigeante au point de faire de la Normandie un sujet pour "rats de bibliothèques" spécialistes, écrivains, experts, érudits, historiens, géographes, archéologues au détriment d'une approche plus populaire, "grand public"...
Mais cette approche aussi rationnelle que normande devenue, après près de deux siècles de pratique, une tradition normande aussi centrale que d'autres pour définir l'identité contemporaine de notre région, est désormais un atout pour proposer aujourd'hui une identité collective aussi claire que solideà un grand public de plus en plus friand de patrimoine historique au moment où beaucoup s'interrogent sur l'identité et les valeurs qui peuvent nous enraciner dans le temps et l'espace...
Ces questions seront d'ailleurs à l'honneur du prochain séminaire "Normandie" de l'Université populaire de Caen que nous animons désormais depuis dix ans et pour fêter dignement ce 10ème anniversaire, nous parlerons, à nouveau, de la Normandie en tant que monument d'histoire et de géographie.
Livre. L’œuvre d’Arcisse de Caumont enfin rééditée,
par une maison d’édition de Caen
Jeune éditeur de Caen (Calvados), Landry Lefort réédite la "Statistique monumentale du Calvados", d'Arcisse de Caumont.
Une première depuis 1898.
Landry Lefort devant la tombe d’Arcisse de Caumont, au cimetière Saint-Jean de Caen. En médaillon, la rue qui porte le nom du père de l’archéologie française, en centre-ville. (©Nicolas Claich/Liberté– Le Bonhomme libre.)
« Ce chef-d’œuvre, austère, était un peu intimidant. C’était un challenge énorme ! » Landry Lefort est passé outre son appréhension face au père de l’archéologie française, le Bajocasse de naissance, Arcisse de Caumont. Ce jeune éditeur de Caen (Calvados)à la tête de la maison Athènes Normande s’est attaquéà la réédition de la « Statistique monumentale du Calvados », véritable bible, en cinq tomes, des amoureux du patrimoine départemental parue en 1846. Landry Lefort précise :
Par statistique, il faut comprendre inventaire. Avec ses collaborateurs, Arcisse de Caumont a répertorié, étudié et décrit tous les monuments du Calvados.
Des milliers de monuments étudiés
La liste est impressionnante. La moindre église, le moindre manoir, toutes les chapelles et les châteaux sont passés au crible de l’illustre historien, commune par commune. Son admirateur note :
Au total, ce sont plusieurs milliers de monuments qui ont été visités à partir des années 1830. Arcisse de Caumont a aussi mis au point une méthode de datation des monuments qui fait toujours foi aujourd’hui.
Au-delà des descriptions techniques architecturales qui raviront chercheurs et historiens, l’édition d’Athènes Normande de la « Statistique monumentale » se veut également un guide pratique à l’attention des passionnés d’histoire et de patrimoine. « Arcisse de Caumont écrivait dans un style enlevé, très agréable, sans jargon excessif », insiste l’éditeur :
Le but est aussi de susciter des vocations, d’inciter à la création d’associations de sauvegarde du patrimoine, comme il en existe déjà beaucoup.
Les collectivités locales ont d’ailleurs soutenu le projet.
Quatre tomes encore à venir
Doté de riches illustrations et d’une maquette modernisée, le premier tome est consacréà l’arrondissement de Caen, qui comprend les cantons d’Evrecy, Villers-Bocage, Tilly-sur-Seulles, Creully et Douvres-la-Délivrande. Suivront les tomes consacrés aux cantons de Troarn et Bourguébus, aux arrondissements de Vire et Bayeux, puis à la Côte fleurie (Pont-l’Évêque, Deauville, Trouville, Honfleur) et enfin l’arrondissement de Lisieux. « Pour la première fois, nous avons fait une synthèse de deux premières éditions, de 1846 et 1898, en réintroduisant des passages coupés dans la deuxième, explique Landry Lefort. Et nous avons la chance que ce premier tome soit préfacé par Vincent Juhel, président de la Société des antiquaires (synonyme d’archéologues) de Normandie. » Et rien n’est dû au hasard. Cette société a été fondée par… Arcisse de Caumont, en 1824.
Infos pratiques. « Statistique monumentale du Calvados », éditions Athènes Normande. En vente en librairie ou sur le site www.athenesnormande.com
Qui était Arcisse de Caumont ?
Pour les Caennais les plus jeunes, Arcisse de Caumont est avant tout une rue où faire la fête le jeudi soir. Mais ce Bajocasse de naissance (1801 – 1873) est une figure de l’archéologie française. Forméà l’Université de Caen, il a revendiqué tout au long de sa vie ses origines provinciales.« À ce titre, c’est une figure de la décentralisation, estime Landry Lefort. Le pouvoir de Paris, à l’époque l’Empire de Napoléon III, voyait cela d’un mauvais œil. » Arcisse de Caumont est enterré au cimetière Saint-Jean, dans le quartier de Vaucelles, à Caen.
À Caen (Calvados), la rue Arcisse de Caumont est connue pour ses soirées du jeudi soir. Mais l’archéologue est un personnage illustre. (©Nicolas Claich/Liberté– Le Bonhomme libre.)