La Normandie est une terre d'écrivains: banalité que de le rappeler! Bernardin de Saint-Pierre, Hugo, Flaubert, Maupassant, Malherbe, Corneille, Barthes, Breton, Ponge, La Varende, Grainville, Senghor, Ernaux, Délerm... La liste ne sera jamais exhaustive! Utilisons donc une métaphore plus parlante: si la Normandie littéraire était une esnèque, la proue fameuse ornée d'une tête de dragon, ce serait bien la tête de Barbey d'Aurévilly (néà Saint Sauveur-le-Vicomte en 1808 et mort à Paris en 1889) qu'il faudrait sculpter dans le bois le plus dur!
Le célèbre portrait de Jules Barbey d'Aurévilly en prince du dandysme d'après un modèle de la Renaissance... peint par Emile Lévy en 1882
- Mais monsieur, le dandysme n'est plus à la mode!
- Je vous emmerde...
Barbey aimait les masques et tout ce qu'un portrait pouvait masquer... La photographie? Trop vulgaire !
Barbey d'Aurivilly était un génie littéraire et un bel emmerdeur... Après avoir passé sa thèse de droit consacrée aux cas qui échappent à toute prescription (on voit déjà là la sensibilité du personnage), il envoie ballader ses parents et notamment sa mère qui disait de lui qu'il était "laid". Tant pis pour le monde entier, désormais, il sera dandy à Paris et exercera la profession d'écrivain méchant (au sens strict du mot: qui tombe toujours mal, faute d'être assez souple et cynique pour s'adapter aux circonstances). Inclassable, resté fidèle à tous les amours de sa jeunesse, notamment le dandysme d'un George Brummell venu mourir chez nous misérablement à l'hôpital pyschiatrique du Bon Sauveur de Caen, Barbey va se passionner violemment pour son époque comme un médecin inquiet du développement d'un symptôme: révolutionnaire mais anti-jacobin et anti-républicain (comme le chevalier Destouches, il n'aime pas la guillotine); catholique fervent mais détesté par tous les curés de France depuis son procès pour interdire son roman "les diaboliques"; dandy détestant les bourgeois qui le lui rendaient bien; journaliste critique littéraire détesté par les autres journalistes et les autres écrivains ("le journalisme, ce chemin de fer du mensonge" disait-il), Barbey d'Aurévilly fidèle misanthrope (et aussi misogyne à l'égard des seules féministes car il s'amourachait des femmes avec passion...) était donc un parfait emmerdeur, un "homme sans qualités" au sens du roman de Robert Musil: c'est à dire qu'il n'avait pas toutes les qualités requises pour être pleinement dans son époque: un pied dans le passé, un autre dans le futur et une colère contre le présent... Position inconfortable pour le bourgeois, gymnastique stimulante pour un génie littéraire...
"Je veux faire de la Normandie, mon majorat de renommée"écrivait Barbey le 18 février 1852 à son fidèle ami Tributien, le conservateur de la bibliothèque municipale de Caen. Dégoûté par le faux brillant des salons parisiens (aujourd'hui on dirait le "bling-bling") qu'il avait souhaité décrire comme Balzac qu'il admirait, voulait décrire toute la comédie humaine, Barbey se jette dans un projet littéraire aussi inédit que fantastique: la description de l'âme humaine, féminine, de préférence, aux confins du rêve et des racines de l'enfance: la Normandie devient alors le laboratoire magique de l'écrivain Barbey qui aimait sa Normandie comme on aime avec passion une maîtresse au point qu'il se facha, bien entendu, avec les érudits normands sous prétexte que ce qu'il écrivait tenait plus de la poésie que d'une description du Cotentin entre Saint-Sauveur, Bricquebec, Lessay ou Carteret: Barbey n'est pas un écrivain folkloriste normand mais il a rendu compte de l'âme normande ( et mort à tous les cons ! )
Vous l'avez donc compris, je suis allé visiter, sous le beau soleil du 15 août, le musée consacréà Barbey d'Aurévilly installé dans l'ancienne demeure familliale de l'écrivain rue Bottin-Desylles à Saint Sauveur le Vicomte dans ce Cotentin normand qui m'est très cher...
Pour en savoir plus sur le musée Barbey d'Aurévilly de Saint Sauveur le Vicomte qui a failli disparaître en 1944...
http://maisonsecrivains.canalblog.com/archives/2008/04/07/8636429.html
http://ville-saint-sauveur-le-vicomte.fr/musee-barbey-aurevilly.htm
Inutile d'y trouver une reconstitution fidèle ou des lieux authentiques où l'enfant Barbey aurait pu jouer avec les jupons de la cuisinière... Un masque de plus, aurait dit Barbey ! mais la muséographie, centrée sur les écrits de l'écrivain (de nombreux manuscrits et lettres sont présentés) est, à la fois, instructive pour situer Barbey dans une époque qu'il n'aimait pas mais aussi belle et émouvante notamment quand il s'agit d'évoquer dans la dernière pièce du rez-de-chaussée la Normandie et la langue normande, cet embrun des origines qui donne tout son sel à la langue française...
Pour en savoir plus sur cet écrivain normand inclassable, la fiche wikipédia (très complète...)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Barbey_d%27Aurevilly
Des citations de Jules Barbey d'Aurévilly pour mettre du sel et du poivre dans l'existence humaine :
« C’est surtout ce qu’on ne comprend pas qu’on explique. L’esprit humain se venge de ses ignorances par ses erreurs. »
« C’est si rare maintenant quand une femme a du tempérament, que quand une femme en a, on dit que c’est de l’hystérie. »
« Il y aura toujours de la solitude pour ceux qui en sont dignes. »
« La veille d'un être humain a toujours quelque chose d'imposant."
« C'est la seule école de style, mon fils. Ce qu'ils font avec leur corps nous devons le faire avec notre esprit. »
- « Etre belle et aimée, ce n'est être que femme. Etre laide et savoir se faire aimer, c'est être princesse. »
« En donnant le nom à un enfant, il faut penser à la femme qui aura un jour à le prononcer. »
« Il y a plus loin d'une femme à son premier amant, que de son premier au dixième. »
« Les petits soins sont les grands pour les femmes. »
« La beauté est une. Seule la laideur est multiple. »
« Cette mélancolie qu'ont les femmes qui ont cherché le bonheur et qui n'ont trouvé que l'amour. »
« En fait de femmes, c'est dans les huîtres qu'on trouve les perles. »
« L'avantage de la gloire : avoir un nom trimbalé par la bouche des sots ! »
- « Les journaux sont les chemins de fer du mensonge. »
Commentaire de Florestan laissé au musée:
"Le 15 août, ils s'en foutent... ça rime et ça ne rime à rien! Leclerc est ouvert ce jour, assomption de l'estomac dans l'âme!"