Cet été, en matière de randonnée pour se retrouver avec soi-même dans le dénuement de la plus simple réalité, avec le silence et une certaine transcendance salvatrice, l'idée de bon sens est de retrouver les voies des pélerinages d'autrefois. Sachant qu'il n'y a pas que le "Camino" c'est à dire cette autoroute de la rando qu'est, hélas, devenu le mythique chemin de Saint Jacques de Compostelle. Et comme nous sommes en Normandie et que Ouest France devrait forcément nous parler de la "troménie"à faire pour relier les neuf anciennes cathédrales bretonnes, nous voudrions saluer l'effort de nos confrères de Paris Normandie qui nous proposent, depuis le début de l'été, une belle série de reportages sur l'ancien parcours du chemin de pélerinage reliant Rouen (la basilique de Notre Dame de Bonsecours sur la côte Sainte Catherine) au Mont Saint Michel comme un signe de l'unité normande le plus concret et spirituel qui soit c'est à dire ressenti, à la fois, dans les mollets et dans son âme...
Après un premier épisode consacréà la boucle urbaine rouennaise jusqu'au bac de la Bouille, Puis deux autres relatant la traversée du plateau de l'Eure et de ses vallées verdoyantes en passant par l'abbaye du Bec Hellouin, quatrième étape à travers un pays d'Auge méridionnal encore bien secret: entre Ronceray, Camembert et Chambois, le pays natal de Charlotte Corday mais aussi de... Michel Onfray.
Sur les chemins du Mont-Saint-Michel, d’Orbec à Trun
Randonnée. Tout l’été, nous vous faisons parcourir les chemins du Mont-Saint-Michel, empruntés depuis le Moyen Âge par les pèlerins. Aujourd’hui: le Pays d’Auge, d’Orbec à Trun en passant par Vimoutiers. Distance : 51 km.
Fourbus, trempés par une bruine persistante qui semble ne s’être jamais arrêtée, les pieds crottés. À l’arrivée au Pressoir de Crouttes, quelques longs kilomètres après Vimoutiers, les pèlerins n’ont pas fière allure. Le sourire et l’accueil de Lieven et d’Agnès vont vite redonner un peu de chaleur. L’étape aurait dû s’arrêter àVimoutiers, mais l’appel de l’accueil Miquelot du couple belgo-hollandais en a décidé autrement. Il faut l’avouer, après environ 30 km dans les chemins, c’est en stop que nous avons effectué une partie des derniers kilomètres.
Au volant, un octogénaire qui se transforme le temps de quelques kilomètres en guide touristique. Visiblement amusé d’avoir « chargé» deux pèlerins pas comme les autres. «Je peux vous amener à votre gîte si vous voulez.»Non, pas question d’arriver à notre première étape dans une puissante berline. La pluie s’est calmée et les derniers kilomètres seront vite avalés. Oubliés, ou presque, les chemins herbeux et très humides, les sentiers où les crampons ont du mal à accrocher le sol boueux.
Le matin, les choses avaient plutôt bien démarré avec des petits chemins caillouteux et de charmants cours d’eau à la sortie d’Orbec. Le rythme est soutenu mais soutenable, d’autant qu’il est loin de faire trop chaud. Facile de trouver sa route, les balises sont omniprésentes. Heureusement d’ailleurs, car il est - très - rare de croiser quelqu’un sur les chemins, qui se font par moments peu praticables.
Après Meulles, direction Préaux-Saint-Sébastien, un village qui compte moins de quarante habitants mais qui abrite un superbe château devenu haras. Au loin, les chevaux paissent tranquillement. Avant, le village était un haut lieu de pèlerinage, l’église renferme en effet des reliques du saint invoqué pour lutter contre la peste. Aujourd’hui, chaque lundi de Pentecôte, ce sont les charitons normands qui s’y rassemblent.
Les routes du Paris-Camembert
Le paysage se fait typiquement augeron lorsque l’on descend sur Canapville. À un carrefour se dresse le monument dit de la Vierge aux anges, le rocher, signé par un maçon du nom d’Eugène Guillochin, est en béton et en silex, typique des années 20.
18 h 30. Alors que nous jetons un coup d’œil sur le plan placé face à la mairie de Crouttes, un homme s’approche pour nous proposer son aide. Il a une maison dans la commune, mais habite en fait àSaint-Étienne du-Rouvray, près de Rouen. Il nous indique la route et nous prévient : «La descente est cos taud, 18% de dénivelé. Les courses cyclistes passent par là.»Depuis trois ans, le peloton de la Paris-Camembert s’étire dans la côte de la Cavée. Sans maillot blanc à pois rouges à l’arrivée. La descente est en effet impressionnante, longe d’anciennes habitations troglodytiques et permet d’apercevoir en face le prieuré Saint-Michel, ancien prieuré bénédictin, fondé au Xe siècle par l’abbaye de Jumièges. Décidément, le monde est petit.
Lieven nous ouvre la porte du studio qu’il met à disposition des pèlerins. Par respect, nous laissons nos chaussures de randonnée boueuses à l’entrée. «Je vous laisse vous reposer et vous changer. On vous attend à la maison vers 19h30.» Deux ampoules soignées et une douche plus tard, il est temps de frapper à la porte de nos hôtes.Autour d’une bière, belge évidemment, alors qu’un couple d’étudiants colombo-péruvien termine de préparer le repas, Lieven et Agnès nous confient que nous sommes les premiers pèlerins à franchir la porte de son accueil Miquelot. «C’est logique, venir ici en partant d’Orbec est impossible, l’étape est trop longue»,sourit Lieven, comme pour nous dédouaner d’avoir parcouru quelques kilomètres en voiture.
Lieven, anciende Compostelle
Il sait de quoi il parle. Avec Agnés, ils ont parcouru les chemins de Saint-Michel. «Une année, nous avons fait Rouen-Crouttes. L’année suivante, Crouttes vers le Mont.» Et surtout, en solitaire cette fois, Lieven a rejoint Compostelle au départ du Mont en 80 jours. Vingt-sept kilomètres de marche par jour en moyenne avec un sac à dos de 10 kg. «J’ai été accueilli gentiment dans plein d’endroits pour dormir, c’est logique aujourd’hui que je fasse la même chose. Même si le studio est loué, on trouvera toujours une place pour un pèlerin.»
Après avoir goûté le calva local, au dodo. Le matin, les chaussures de rando sont à peine sèches et les muscles encore bien endoloris. Le temps de dire au revoir à nos hôtes, et il est l’heure de reprendre la route. Il faut remonter sur le plateau et la côte casse un peu les pattes. Et malheureusement, la brume continue à s’abattre sur la cime des arbres. L’atmosphère sera aussi humide que la veille.
La vallée de la Monne, dominée par le château du Renouard, s’offre tout de même au détour d’un chemin. Les environs sont marqués par le souvenir de Charlotte Corday : son église baptismale aux Lignerits, sa maison natale aux Champeaux, le manoir de Cauvigny où elle a passé une partie de son enfance...
Il faut continuer. C’est àTrun que se situe notre étape pour la nuit. Le chemin est vallonné mais se fait plus plat en arrivant vers notre destination finale. Notamment en se rapprochant de la Dives, àMagny, théâtre des terribles combats de la fin de la bataille de Normandie, en août 1944.
Ce soir, nous sommes attendus dans une chambre d’hôtes : la Villageoise. Nous furetons dans le village en attendant l’heure de notre rendez-vous. «Vous faites le chemin du Mont?», interpelle le fleuriste. La conversation s’engage. Et rapidement, le commerçant nous invite à nous délester de nos sacs à dos dans son arrière-boutique. Pour voyager plus léger. Cela tombe bien, après deux jours de randonnée, les jambes commencent à se faire lourdes, très lourdes. Un hôtel, le Petit Trun, nous tend ses chaises. Et apparemment, nous ne sommes pas les premiers randonneurs à franchir le seuil. «Surtout au début», soulignent Catherine, une ancienne de l’école hôtelière de Rouen, et Denis, ancien second de cuisine du Mercure du Havre. Le touriste se fait rare. Même proche de Chambois et de Montormel, Trun semble avoir perdu la bataille de Normandie du tourisme de mémoire. Le maquettiste Heller, dont l’usine se situe sur la commune, n’a pas, lui non plus, glissé une scène des combats de la poche de Chambois dans son catalogue de jouets.
Stéphanie nous accueille dans sa maison, un ancien relais de poste, l’une des seules maisons encore debout en 1944. En habituée des randonneurs, elle s’inquiète de notre heure de départ le lendemain matin. «En général, ils partent tôt.» Pas nous. Demain, c’est grasse mat’, ou presque. Notre relais doit pointer les bouts de ses chaussures de randonnée à 9 h. Pour nous laisser le temps de déguster le p’tit dej maison.
Olivier cassiau
Plus d’infos: www.lescheminsdumontsaintmichel.com
LA RENCONTRE : Dany, le soleil de Meulles
Au soleil de Meulles, c’est le nom de sa boutique, participe à l’animation du village. «Avant, au rez-de-chaussée de la maison, il y avait une boulangerie. J’ai d’abord fait dépôt de pain à la mairie avant d’installer la boutique ici, un petit truc pour dépanner. Je suis livrée par la boulangerie d’Orbec.» Il est près de midi et les clients se succèdent pour acheter une baguette.
À voir
Normandie.