La question patrimoniale est essentielle en Normandie, région qui se définit comme région historique, patrimoniale depuis plus de deux siècles... Sur l'Etoile de Normandie nous avons tenté d'ouvrir la question encore taboue de la possibilité de restituer ou non à l'identique des architectures disparues notamment lors des bombardements de 1944 avec la question de reconstruire un 4ème côtéà la place de la République à Caen. Mais qu'en est-il de ruines plus anciennes, notamment d'abbayes aujourd'hui presque totalement disparues mais qui furent jusqu'en 1789 de grandioses monuments isolés au fin fond des bocages de Normandie?
Deux exemples illustrent cette problématique de conservation de ruines monastiques, à la frontière entre l'archéologie et la restauration architecturale: l'ancienne abbaye de Savigny dans l'Avranchin (près de Saint Hilaire du Harcouët) et l'ancienne abbaye de Saint Evroult au fin fond du Pays d'Ouche qui fut l'une des plus puissantes abbayes de l'ancien duché de Normandie, particulièrement appréciée par Guillaume Le Conquérant et célèbre pour sa châsse qui contenait les reliques de son saint fondateur.
Châsse de Saint Evroult (XIIe - XIIIe siècles) aujourd'hui conservée au musée départemental d'art religieux de Sées (Orne)
L'Abbaye de Saint Evroult, au temps de sa dernière splendeur aux XVII et XVIIIe siècles:
Les ruines de l'abbatiale aujourd'hui...
Un projet de réhabilitation des ruines encore imposantes de l'ancienne abbatiale est donc en cours...
Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois Normandie. Ces archéologues bénévoles qui sauvent des ruines médiévales
À Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois, dans l'Orne, sept passionnés d'archéologie étudient les vestiges d'une abbaye du XIe siècle, dans le but de restaurer ces ruines médiévales.
Sept passionnés d'architecture et d'archéologie ont étudié les vestiges d'une abbaye médiévale à Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois (Orne), du 4 au 15 avril 2016.
Dans l’Orne, dans la petite commune de Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois, près de L’Aigle, des vestiges d’une abbaye médiévale s’étendent au bord d’un étang. Du 4 au 15 avril 2016, sept passionnés d’architecture et d’archéologie ont observé, mesuré, dessiné, pris des photos…en vue de restaurer des parties de l’abbaye. Une arche est encore intacte et le reste des piliers, ainsi que les escaliers menant au chœur de l’édifice religieux, témoignent d’un bâtiment d’envergure. Un premier monastère en bois aurait été construit au VIIe ou VIIIe siècle avant de tomber en désuétude au Xe siècle et d’être reconstruit en pierres au XIe et XIIe siècle, l’âge d’or de l’abbaye.
"On peut imaginer que l’église faisait environ 3 000 m2 sans compter le reste des bâtiments : le réfectoire où mangeaient les moines, le dortoir, la salle du chapitre…, énumère à Normandie-actu Thomas Guérin, archéologue salarié au sein de l’association Cham (Chantiers d’histoire et d’architecture médiévales), en charge de l’étude de l’abbaye ornaise. Pour se représenter la taille du bâtiment, il faut imaginer l’abbaye de Saint-Ouen à Rouen (Seine-Maritime). C’était très grand. À l’époque, on peut supposer que plusieurs dizaines de moines y vivaient."
L’église abbatiale de Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois était plus haute que celles de Sées (Orne), Bayeux (Calvados), Lisieux (Calvados), Besançon (Doubs)… La nef faisait 41 mètres sur 11 et la tour lanterne s’élevait à 33 mètres de haut. L’abbaye perd de sa splendeur pendant la Révolution. Elle est abandonnée, puis complètement dépouillée. « De nombreuses maisons du village ont été construites avec des pierres de l’abbaye, assure Thomas Guérin, référent pour la Normandie au Cham. Ce sont des pierres calcaire du Merlerault (Orne) qui ne sont plus exploitées depuis des siècles. Elles sont très reconnaissables dans le village ! »
Les habitants ont préféré construire une nouvelle église au XIXe siècle, plutôt que de rénover l’immense abbaye, lourdement endommagée par la Révolution. Les ruines de l’abbaye vivent donc avec les habitants depuis plusieurs siècles.
"Au fil des années, des petites restaurations ont été effectuées, mais elles n’ont pas toujours été bien faites, remarque l’archéologue du Cham. Par exemple, sur les ruines de la tour lanterne, du ciment a été appliqué afin d’éviter la chute des pierres. Mais c’est ce qu’il y a de pire à faire ! Le ciment emprisonne l’humidité dans le mur et avec le temps, le mortier devient du sable. Nous travaillons uniquement avec de la chaux et du sable, ce qui permet aux murs de respirer."
Préserver les ruines de Normandie
C’est la mairie de Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois qui a fait appel à l’association Cham pour étudier les vestiges de l’abbaye. « Le but n’est pas de restaurer l’abbaye mais de sauver les ruines et de les rendre sécuritaires pour la population, explique l’archéologue. Pour le moment, nous sommes dans une phase de diagnostic et en 2017, nous mènerons un chantier de rénovation, où nous pourrons nettoyer certaines pierres, faire sauter des joints de ciment, remettre de la chaux, rétablir certains piliers… » Les bénévoles du Cham ont de la chance car des pierres de l’église ont été entreposées non loin des vestiges, « ce qui va nous permettre de faire de belles restaurations ».
L’association, qui fonctionne avec des bénévoles et un archéologue professionnel pour chacun de ses chantiers, mène plusieurs projets en ce moment en Normandie, notamment à l’abbaye du Bec-Hellouin (Eure), sur les vestiges des châteaux médiévaux de Conches-en-Ouche (Eure) et Monfort-sur-Risle (Eure) et les fortifications d’Avrilly (Eure). « Notre but est vraiment de préserver les ruines de notre région », conclut Thomas Guérin.
Si vous souhaitez être bénévole sur un chantier du Cham, n’hésitez pas à consulter leur site internet. C’est ouvert à tous.